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De la réparabilité des bidules high-tech

Publié le 10 juillet 2023
Image from Robert Nelson, CC-BY 2.0

Il y a deux jours, quelqu'un a fait tomber mon smartphone fraîchement réparé (avec un écran tout neuf !) et a cassé ledit écran. J'ai un lot de fissures qui lézardent son écran à partir du coin supérieur droit, ce qui est pour moi très désagréable. Et vu que je l'ai déjà démonté et réparé, je sais que ça va être une opération risquée: l'arrière de mon smartphone peut casser (merci le doublage en verre ou similaire), et décoller un écran est toujours une opération ennuyeuse. Bref, un rappel non-sollicité que réparer un smartphone est toujours une vraie galère.

La bonne nouvelle, c'est que le Parlement Européen a adopté le 14 juin 2023 une résolution visant à faciliter le changement des batteries de smartphones par les utilisateurs, en faisant en sorte qu'elles puissent être retirées avec des outils couramment disponibles ou des kits spécifiques mis à disposition gratuitement. Autrement dit, l'usage de colle très difficile à enlever serait proscrit que ce soit pour sceller les boîtiers des téléphones ou coller la batterie au chassis, pour le plus grand bonheur des personnes souhaitant réparer eux-mêmes leurs smartphones. C'est bien, mais c'est loin d'être suffisant.

Plus fin, plus petit, plus joli

Que ce soit pour les smartphones, les tablettes ou les ordinateurs portables, la tendance est à la miniaturisation afin d'avoir les objets technologiques les plus fins et jolis grâce à la miniaturisation des composants. Les considérations esthétiques ont amené les fabricants à préférer la colle aux vis, beaucoup plus discrète, tandis que l'appétit des consommateurs pour des portables encore plus fins et bourrés de technologies récentes les ont forcé à intégrer les batteries au coeur des équipements les rendant de fait très difficiles d'accès. Mais en faisant de la sorte, le produit fini est lisse comme un galet, tendance, apprécié pour sa finition. On n'achète plus un smartphone ou une tablette pour le service qu'il ou elle rend, mais pour son allure et les innovations technologiques qu'ils embarquent (et elles sont légions).

Ces choix de conception ont toutefois un impact non-négligeable sur la réparabilité de ces équipements. La face arrière de smartphone en verre (ou simili-verre) est super jolie, mais cela casse à la moindre tentative d'ouverture avec des outils inadaptés ou lorsque la personne qui opère n'a pas le coup de main requis. La batterie collée est une horreur à décoller sans solvant, opération qui est par ailleurs risquée en cas de perforation malencontreuse de la-dite batterie. Il faut désormais être relativement bien outillé pour pouvoir ouvrir un smartphone de dernière génération: pistolet à air chaud, outils très fins pour décoller la colle, ventouses diverses pour retirer les faces arrières, etc. Et cela n'ira pas en s'arrangeant, même si les constructeurs se conforment aux exigences européennes.

En effet, il n'ont qu'à mettre à disposition des kits difficiles d'utilisation, et rejetteront la faute sur les utilisateurs en cas de mauvaise manipulation et de dommages causés par ces derniers à leurs équipements. Apple fournit par exemple ce genre de kit, qui ont pour méchante réputation d'être complexes à utiliser.

Le retour des vis, trappes et clips ?

Il est loin le temps où il suffisait de retirer quelques vis pour accéder aux entrailles d'un smartphone, ou tout simplement de déclipser la face arrière pour remplacer très simplement une batterie. Il ne faut pas se voiler la face: un smartphone ou une tablette favorisant la réparabilité sera obligatoirement moins fin et moins joli que les concurrents, mais sera plus durable et plus facile d'entretien. Mais moins joli. Donc moins vendable.

Prenez le Fairphone 4 par exemple. On est loin du modèle super fin et très performant (un peu plus de 10 millimètres d'épaisseur contre 7,8mm pour le dernier iPhone), mais la coque arrière est clipsée et le reste tient avec des vis. Sa batterie n'est pas collée et peut être changée assez simplement. Les pièces détachées sont elles aussi disponibles à l'achat et autrement que via AliExpress. L'ensemble est pensé pour être démontable, démonté et réparé.

Mais ce n'est pas la seule initiative de ce type. Côté laptop, Framework propose des ordinateurs réparables, customisables, avec ce qui ressemble à des mécanismes assez ingénieux pour l'assemblage des différents composants. De fait, l'ensemble est un ordinateur portable modulaire qui facilite grandement le remplacement des différents modules, et indirectement sa réparabilité. Changer un disque dur, une batterie ou la RAM devient simple et ne nécessite pas un diplôme d'ingénieur ni de grande expérience.

Et ce ne serait pas un luxe, quand on voit la consommation actuelle de smartphone et son impact sur l'environnement ou la disponibilité des ressources.

Le grand gaspillage

Les bidules électroniques que sont nos ordinateurs et smartphones (qui rappelons-le, sont eux aussi de véritables ordinateurs de poche) sont renouvelés à une vitesse folle, sous prétexte d'évolutions technologiques majeures ou d'obsolescence. Nous les renouvellons en moyenne tous les 2 ans et demi, car ces derniers ont vainement résisté au temps. Les différentes chutes, poches inamicales, la poussière et les différents liquides auxquels ils sont exposés finissent par en venir à bout et les envoyer à la décharge. Un écran cassé, c'est l'occasion de renouveler son smartphone !

Et forcément, plus le smartphone est récent et plus la note du remplacement de son écran tactile ou de la face arrière sera salée, les modèles derniers cris ayant subi les affres de l'évolution technologique et de la miniaturisation. Il est dès lors moins coûteux d'en changer que de le réparer. Ce qui est bien dommage, car ils peuvent facilement durer entre 6 et 8 ans sans être totalement périmés (que ce soit côté matériel ou logiciel). La question est donc posée: que gagne-t-on aujourd'hui à renouveler systématiquement son smartphone (et sa tablette ou son ordinateur portable dans une moindre mesure) ?

D'un point de vue technique, à moins de jouer à des jeux très gourmands en CPU et mémoire vive il n'y a que peu d'évolution en terme de performances. Si vous surfez sur Internet, consultez vos mails ou vos applications de messagerie, cela ne va pas être révolutionnaire. Le changement va plus être motivé par l'attrait d'une hype du moment (tiens, ça serait bien d'avoir un smartphone avec un écran pliable), par un effet de mode (le fait de posséder le dernier iTruc montre qu'on est à la page) ou pour appartenir à un groupe en particulier (celui de ceux qui ont des beaux iTrucs tout récent qui font des photos de malade). Ce qui constitue d'un point de vue très pragmatique des raisons non-techniques qui vont motiver l'achat ou le changement. Raisons qui sont attisées par du marketing bien ciblé qui crée un besoin tout relatif.

Cependant, il y a une raison très valable de le faire: l'obsolescence des OS installés sur les smartphones et leur maintien par les constructeurs. Ces derniers livrent leurs modèles avec des versions customisées d'Android, et peuvent décider de ne plus assurer la maintenance des systèmes des anciens modèles, les rendant vulnérables à différentes attaques qui pourraient être découvertes après l'arrêt du support. Et exposant potentiellement leurs utilisateurs à des malwares, à la compromission de leurs terminaux et des données qu'ils contiennent. Pas glop. A noter qu'Apple fait figure de modèle en maintenant le système de la plupart de ses terminaux pendant plusieurs années, battant à plate couture la plupart des constructeurs fournissant des terminaux sous Android.

Et tout cela produit malgré tout des tonnes de déchets électroniques qui sont encore mal recyclés et un gaspillage de ressources dont des terres rares (gallium, tantale, yttrium, etc.). Pas glop.

Il faudrait en faire un peu plus

La décision de Parlement Européen est un bon début, bien que peu coercitif vis-à-vis des constructeurs qui pourront contourner plus ou moins difficilement cette dernière. On peut toutefois espérer voir apparaître certains modèles mieux pensés pour faciliter les réparations, mais il faudra faire un choix lors de l'achat ou du renouvellement du smartphone.

Côté système d'exploitation et le support des anciens modèles, aucune obligation pour les constructeurs de fournir des mises-à-jour pendant une certaine durée n'est dans les cartons et les consommateurs qui souhaitent utiliser leur smartphone pendant plusieurs années (plus que la durée de support du système) se verront contraints soit d'utiliser un système potentiellement vulnérable soit d'installer un système alternatif quand cela est possible.

De mon côté, quand mon smartphone aura définitivement rendu l'âme (si le matériel me lâche ou si le système d'exploitation n'est plus maintenu) je pense sincèrement essayer un Fairphone au vu de mes usages (je ne suis pas un grand fan des iTrucs), qui aux dernières nouvelles arrivait à rivaliser avec Apple quant à la durée du support de ses systèmes.

En attendant, je vais devoir m'atteler au changement de l'écran, en sachant pertinemment que ça va me prendre facilement entre 30 et 45 minutes et pas mal d'alcool isopropylique pour nettoyer toute la colle...



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