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La crise de la quarantaine ?

Publié le 07 octobre 2024

Après quasimment un an à tourner autour du pot, c'est le moment de se lancer. Ce billet de blog est clairement un de ceux difficiles à rédiger, mais pas pour la raison que l'on pourrait penser. Il y a des billets pour lesquels on ne sait pas exactement ce que l'on va écrire, ou que l'on réécrit sans fin car les tournures ou la structure même ne vont pas, ou l'on n'aime pas telle ou telle façon que l'on a choisi d'aborder les choses. Ici, ce n'est pas tout à fait le cas (même si c'est présentement la cinquième version de ce billet, qui m'a pris un mois à rédiger). Je sais pertinemment de quoi parler et comment l'aborder, mais la question qui se pose est la suivante: est-il nécessaire d'en parler ? Est-ce que ce ne serait pas une grossière erreur de le faire, que je pourrai regretter par la suite ? Cependant, si vous lisez ce billet c'est bien que la question ne se pose plus désormais.

Ça doit être un des billets les plus personnels que j'ai pu écrire, après plusieurs relectures et retouches successives. Je ne suis pas du genre à étaler ma vie privée, mais je crois que j'ai besoin de partager un bout de ce qu'a été mon année 2024 et les quelques années précédentes. Ça va faire plus d'un an que je garde ça pour moi, que je traverse tout un ensemble de phases plus ou moins difficiles, et ce n'est pas évident. Ce n'est pas évident d'en parler, ce n'est pas évident de se confier, ce n'est pas évident de comprendre non plus. Mais ça fait du bien de l'écrire, ça permet de faire le point et de tenter de mettre les choses au clair. Et expliquer aussi, même si je sais que ce dont je vais parler ne va pas être simple, que le risque d'incompréhension est présent, que ça pourrait même me valoir des reproches ou des critiques sur le plan professionnel.

J'ai bientôt 40 ans et je viens de découvrir que j'ai probablement un trouble déficitaire de l'attention avec/ou sans hyperactivité (ou TDAH).

Le TDAH c'est à la mode, il paraît.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, il m'est important de préciser quelques points. Tout d'abord, je ne rédige pas ce billet pour me faire plaindre ou attirer de la sympathie. Ce n'est pas non plus un billet pour flatter mon égo (pour peu que ce soit flatteur) ou me mettre en avant d'une manière ou d'une autre. Oui, je sais aussi que les diagnostics de TDAH sont à la mode, mais je vous invite à lire l'intégralité du billet pour affiner votre opinion.

Pour les personnes qui me connaissent (proches, collègues, managers), ne soyez pas étonnés du fait que je n'ai jamais abordé tout cela avec vous. C'est relativement récent, il paraît que je m'en sors pas trop mal et que mes difficultés ne transparaissent que peu. Il ne s'agit pas d'avouer une faiblesse, mais plus d'expliquer un mode de fonctionnement, que je n'ai compris que très récemment.

Ces précisions faites, remontons quelques années en arrière, en 2020.

Sortie de confinement, le début des problèmes

Le confinement lors de l'épidémie de SARS-CoV-2, ou COVID-19, a été quelque chose d'assez particulier en ce qui me concerne. Beaucoup de personnes l'ont vécu comme quelque chose de difficile: rester enfermé chez soi, ne pas pouvoir sortir retrouver ses amis, se faire un bon restaurant ou juste boire des coups dans un bar était moralement éprouvant. De mon côté, ce n'était pas exactement la même musique. Je peux dire que j'ai vraiment adoré le confinement. Certes, ce n'était pas facile avec deux enfants en primaire, mais cela mis à part c'était un bonheur de ne pas avoir à tout le temps bouger. J'ai trouvé le temps de bosser sur des projets nouveaux, d'apprendre tout un tas de trucs, de faire des Lego pendant des heures... Les journées se ressemblaient et se répétaient, mais cela n'était franchement pas un problème, au grand désespoir de ma moitié.

Et puis vint le déconfinement, et le dur retour à la réalité. Pendant plusieurs mois, on avait tout fait quasimment à distance, soit par téléphone soit en visio, et il fallait désormais remettre un pied dans le vrai monde, et recommencer à interagir avec de vrais gens. Il fallait appeler à nouveau le coiffeur pour prendre rendez-vous, affronter les foules du métro parisien pour aller bosser, faire des réunions en présentiel après des mois de visio-conférences. C'est à ce moment que c'est devenu difficile. D'une part parce que je voyais bien que j'étais seul dans mon coin à avoir adoré le confinement, mais aussi parce que certaines tâches étaient plus difficiles à faire qu'auparavant. Prendre des rendez-vous, envoyer des e-mails, appeler des gens. J'arrivais à les faire, mais très souvent à la dernière minute, une fois que je n'avais plus vraiment le choix. Et d'autres fois je les finissais en retard.

Fin 2020, je prends la décision de quitter mon emploi actuel et d'accepter un poste dans une autre société qui me permet de bosser à distance, d'une part à cause d'une solution de garde d'enfants qui nous a laissé tomber (mais ce n'était pas vraiment leur faute, dur de proposer une garde d'enfants quand tu n'as plus d'employés) et d'autre part car je me sentais très à l'aise de retrouver un mode de fonctionnement assez proche de celui que j'avais durant le confinement (et cela faisait aussi quelques années que je pratiquais le télétravail, à environ 50% de mon temps). Je commence à ce nouveau poste début 2021, en retrouvant tout le stress d'une embauche et les premiers jours et semaines de découverte de l'entreprise, de sa culture et de ses habitudes.

Ce truc qui me trotte en tête

J'observe assez rapidement un décalage entre la façon dont je perçois mon travail et la manière dont ce dernier est apprécié. J'ai le sentiment d'être brouillon, complètement désorganisé, de ne pas arriver à gérer mon temps et mes priorités, de galérer comme pas permis sur les missions qui me sont confiées, et j'en fais part lors de mes évaluations. Et en face, c'est juste l'incompréhension. Non, tout le monde est très satisfait de ce que je fais, ils ne comprennent pas pourquoi j'insiste sur mes soucis d'organisation car a priori je rends mes rapports en temps et en heure et je peux gérer plusieurs missions en parallèle. D'accord, donc c'est moi qui m'en fais tout un fromage ? Suis-je juste un peu trop perfectionniste, au point de m'en vouloir de la moindre petite erreur que je fais ?

A cela s'ajoute le stress des réunions d'équipe, qui ont lieu chaque semaine en présence de tous les collègues. Dès que c'est mon tour de parler, c'est la cata. Je bafouille, j'ai l'impression d'être au niveau zéro de la langue anglaise, de ne pas être clair dans ce que je raconte, de pas avoir ma place dans l'équipe. C'est peut-être parce que je viens juste d'arriver, enfin je suppose. Le syndrome de l'imposteur, mais en vraiment tenace.

Plusieurs mois ce sont écoulés, j'ai pris mes marques dans mon nouveau poste mais il y a toujours ce truc qui me trotte en tête... Je me sens comme en décalage, sauf que là c'est beaucoup plus flagrant que dans mes boulots précédents. Je finis par penser à certains moments que si ça se trouve j'ai un problème, que tout le monde fait comme si tout était normal mais qu'au fond ils ont remarqué qu'il y avait un petit truc qui clochait, mais que par politesse personne n'en parle. J'arrive malgré tout à travailler convenablement, cela me pourrit juste la vie au quotidien, mais je m'en sors.

Je ne suis peut-être pas comme les autres

On est désormais en 2022, et je laisse mes parents à Brest avec ma grand-mère mourrante pour rejoindre mes collègues à La Haye afin de participer au Hardware CTF de Hardwear.io. Vers 15 heures, alors que j'étais bloqué à la Gare du Nord pour cause d'alerte à la bombe, je reçois un appel de ma mère qui m'annonce le décès de ma grand-mère. Je m'attendais à cette nouvelle, mais je pensais que j'allais au moins être triste. En réalité, non. J'étais plutôt soulagé, et j'ai repris mon chemin vers les Pays-Bas. J'ai par la suite changé mes billets de retour pour pouvoir assister aux funérailles organisées quelques jours plus tard.

Dans l'année qui a suivi, la grand-mère de ma femme ainsi que mon beau-père sont décédés à quelques mois d'intervalle. J'ai eu l'impression d'être complètement détaché de tout ça, inhumain d'une certaine façon, je n'ai pas versé une larme et ma fille m'a même demandé si ça m'arrivait d'être triste et de pleurer. Ça fait un peu réfléchir, sur le coup. Ma chérie me dit juste que je gère le deuil différemment, oui ça doit être ça alors. À y réfléchir, ce n'est pas la première fois que ça se passe comme cela. Pour le décès de CrashFr, c'était exactement la même chose.

Ça doit donc être ça, je ne dois pas fonctionner comme les autres. Il y a désormais cette petite musique qui trotte, cette rengaine un peu plus insistante qu'auparavant qui me répète que je suis peut-être juste un sociopathe qui s'ignore. Et ça fait très bizarre.

Enfin une piste, et le début des gros ennuis

Mars 2023, je tombe sur un tweet d'une connaissance parlant d'un test en ligne dénommé Ritvo Autism Asperger Diagnostic Scale–Revised, ou RAADS-R. Je ne sais sincèrement plus pourquoi je me suis dit que le faire serait intéressant, toujours est-il que je me suis pris au jeu et j'ai répondu honnêtement aux différentes questions. Le résultat m'a surpris, je ne pensais pas avoir un score aussi élevé. Le test disait en substance qu'il serait intéressant de consulter, car je pouvais être concerné. On parle ici d'un test de screening en ligne visant à déterminer un possible autisme, loin d'un quelconque diagnostic.

Mon premier réflexe a été de contacter cette connaissance, en lui demandant ce qu'elle pensait d'un tel score. Sa réponse a été encore plus perturbante: "ah bah je ne suis pas étonné, quand je t'ai vu avec tes enfants ça transpirait la famille neuro-A !". Heuuu, comment ça ? Et c'est quoi une "famille neuro-A" ? J'ai ainsi découvert un nouvel univers, celui des neuroatypies, avec son vocabulaire et tout un lot de sources d'information que j'allais explorer par la suite. Cette même connaissance m'a proposé de discuter du sujet, et on a bien du passer plus de 4 heures d'affilée à échanger... Il y avait en effet des éléments qui allaient en ce sens, mais je voyais aussi beaucoup de choses que rien n'expliquait. Moi, autiste ? Sérieusement ? Je sais qu'on rigolait pas mal de ça avec les collègues, on disait assez souvent qu'on passait en mode autiste quand on se mettait à focus à fond sur un sujet ou une tâche, mais de là à penser que ça pouvait être vraiment le cas...

J'ai fait ce que toute personne sérieuse aurait fait dans ce cas de figure. Après m'être relativement bien documenté j'en ai parlé avec ma moitié, lui exposant certains de mes traits qui me faisaient penser à cela mais aussi ceux pour lesquels ça ne "collait pas". Je lui ai dit que ça m'intéressait d'avoir des réponses à toutes ces questions, vu que ça me pourrissait la vie depuis plusieurs années. Ce fut aussi l'occasion de mettre à plat ce qu'il s'était passé les années précédentes, d'évoquer des choses dont on n'avait pu parler, de tout mettre sur table après tout ce temps à me poser des questions. Mais ce ne fut pas sans conséquences. J'avais comme ouvert la boîte de Pandore, et l'année qui suivit fut assez rude pour notre relation.

Le fait d'avoir une piste, correcte ou non, était aussi pour moi très positif. Je me suis mis à me documenter à fond sur le sujet, à engranger de l'information, à y passer des nuits. À regarder des vidéos de témoignages sur Youtube, en français et en anglais, à découvrir des caractéristiques propres aux neuroatypies, les comorbidités associées, les symptômes et les différentes manières dont ils s'expriment. Je passais mon temps à comparer mes expériences, mon vécu, aux différents témoignages et explications trouvés en ligne. Ça a duré quelques mois, tout de même. Et ça m'arrive encore de me documenter à ce sujet, par ailleurs.

En parallèle, nous avions convenu avec ma moitié que je devrais prendre rendez-vous avec un spécialiste histoire de faire le tri et de voir s'il y a moyen d'améliorer la situation. Passage obligé par le médecin traitant dans un premier temps, qui m'a gratifié d'un "Vous, autiste ? Non, pas le moins du monde !", mais qui m'a redirigé vers une neuropsychologue pour la réalisation d'un bilan.

Les choses ne s'arrangent pas

Depuis que cette hypothèse me trottait en tête, je cherchais à creuser dans le passé tout en essayant d'être objectif et d'éviter le biais de confirmation. Ce n'est pas simple, car il est assez difficile de se souvenir de comment l'on était dans l'enfance, et il est relativement aisé d'avoir de faux souvenirs.

La première chose qui m'est venu à l'esprit fut de contacter mon ami de fac avec qui nous avons vécu en colocation pendant une année scolaire. Je me disais que s'il y a bien une personne qui pourrait avoir un avis neutre, c'était bien lui ! On s'est perdu de vue il y a vingt ans, mais j'ai toujours son adresse e-mail. Je lui envoie un mail, une bouteille à la mer, lui exposant ma situation et lui rappelant certaines discussions que l'on avait pu avoir lors de cette année de colocation. J'avais directement évoqué mon axe de recherche et l'hypothèse d'un trouble du spectre de l'autisme (ou TSA) dans mon mail. Par chance, il avait conservé la même boîte mail et je reçus une réponse de sa part.

La réponse en question fut très déroutante. "Si tu veux parler d'autisme, tu as frappé à la bonne porte, il se trouve que je suis autiste et que j'ai un TDAH". Je ne m'attendais pas du tout à ça. Ce fut l'occasion de reprendre contact, même si ça fait très bizarre après tant d'années.

En parallèle, j'ai alors l'impression que les symptômes s'aggravent. Je remarque tous ces moments où je ne comprenais rien, toutes ces situations où je galèrais, en particulier au boulot et dans la famille. Et aussi en stream, car du coup au moindre petit problème, bug ou quoique ce soit, il y a cette petite voix qui me disait "ah tiens, ça serait pas lié à ton truc, là ?". Toutes ces blagues faites par les viewers que je ne captais pas, les moments où je prends des remarques au premier degré alors que ce n'était juste que des blagues de collègues, les épisodes du quotidien où je "bugue" littéralement sans explication valable... Côté vie privée, c'était de plus en plus de remarques sur mon comportement, des incompréhensions et un changement qui était visible. Et moi qui ne comprenais rien.

Mais à côté de ça, je faisais quelques progrès. J'ai découvert les stim toys (mince, comment j'ai fait sans ?), j'ai commencé à rédiger un genre de journal de bord afin de tout noter et de pouvoir ensuite l'analyser et tenter d'y trouver des réponses, j'ai aussi fait un petit tableau des caractéristiques qui penchaient pour le pour et le contre. C'était aussi un très bon moyen pour souffler et faire le point, cela me permettait de me vider la tête en mettant tout ça par écrit, tout en menant ma petite enquête. À cette période, le fait de ne pas savoir combiné à toutes ces choses que je remarquais m'a ruiné le moral. Difficile de dire exactement l'état d'esprit dans lequel j'étais, mais je me rappelle avoir été relativement mal quand j'étais en déplacement aux Etats-Unis au point de consulter pour la première fois une psychologue en ligne.

Le bilan neuropsy

J'ai enfin réussi à avoir un rendez-vous pour un bilan neuropsy début 2024, soit presque un an après mon premier appel, la liste d'attente étant relativement longue. Ce bilan comprenait un test de QI (WAIS IV), et des tests complémentaires en fonction du premier entretien avec la neuropsychologue (recommandée par le médecin traitant).

Je crois que je n'ai jamais été aussi stressé lors d'un entretien. C'était pire que lors des réunions d'équipe, je ne savais pas où me mettre, je ne savais pas quoi dire bien que j'aie répété ce rendez-vous dans ma tête des dizaines de fois durant les deux semaines précédentes. Comme l'impression d'avoir tout oublié ce que je devais absolument dire, les sujets dont il fallait absolument parler. J'ai réussi à exprimer les difficultés que je rencontrais, la situation actuelle relativement tendue avec ma chérie, les différences de perception de mon travail entre moi et l'entreprise pour qui je bosse, etc... Le premier rendez-vous (appelé anamnèse) a duré deux heures, je n'ai quasi pas regardé la neuropsychologue et j'ai répondu tant bien que mal à ses questions. Je lui ai raconté l'histoire en bref, un peu comme je l'ai fait dans ce billet, elle m'a simplement dit: "Personnellement, ça me fait énormément penser à un TDAH. On se retrouve dans deux semaines pour les tests !".

Un TDAH. Non, je n'y avais pas pensé une seule seconde. Je me rappelle avoir passé des tests en ligne concernant le TDAH, mais ça m'avait dit que j'étais normal. J'étais tellement focus sur un possible trouble du spectre de l'autisme que j'avais laissé le TDAH totalement de côté. Et moi qui voulais éviter les biais de confirmation... Je me suis dit que de toute façon on verrait bien en fonction des tests.

Premier test, le WAIS IV. C'est un test psychométrique qui vise à situer l'intelligence d'un individu sur une échelle comparative, qui se compose de différents sous-tests que l'examinateur fait passer. Je ne détaillerai pas le contenu de ces tests ici, car cela pourrait fausser les résultats si vous souhaitez (ou devez) le passer un jour. Je suis toujours aussi stressé durant le test, j'ai peur que ça donne un résultat moyen. Je fais de mon mieux et la neuropsychologue fait une rapide synthèse à la fin des tests. Elle semble étonnée du résultat, elle commence à me parler de haut potentiel intellectuel, me demande si j'étais au courant que j'avais ces capacités. Bien sûr que non, c'est la première fois que je passe un tel test. Et je suis perplexe, car franchement, comment pourrais-je être haut potentiel intellectuel alors que je galère avec des trucs totalement débiles ? Pourquoi je bug dans une conversation si j'ai un QI élevé ? Je sors de ce test avec la sensation que le haut potentiel est une escroquerie sans nom, et que je ne sais pas pourquoi on en a même parlé durant le rendez-vous.

La suite des tests s'est focalisé sur le TDAH, avec le questionnaire DIVA 2. Là pour le coup, ça m'a beaucoup plus parlé ! Il s'agit principalement de questions concernant l'enfance mais aussi la situation actuelle, les difficultés auxquelles on fait face et la répercussion (on parle de "retentissement") sur le quotidien. Je crois que quand je lui ai montré une photo du rangement de mon bureau, cela a fini de la convaincre. Je pense que si un de mes anciens collègues de Sysdream ou Digital Security lit ce billet, il ou elle doit bien rigoler en repensant à quoi ressemblait mon bureau ! Elle m'a aussi fait passer des tests concernant l'autisme, à ma demande (la piste m'intéressait toujours), mais cela n'a pas été concluant, excluant de fait la piste d'un trouble du spectre autistique.

Une semaine plus tard, c'était la restitution du bilan. J'y suis allé accompagné de ma moitié, et la neuropsychologue lui a exposé mon cas. Elle a aussi insisté sur le fait que d'après elle il n'y avait pas d'évidence d'autisme, mentionnant quelques réponses données au test... que ma femme s'est empressée de nuancer.

Au final, le bilan a révélé un possible trouble déficitaire de l’attention sans hyperactivité (donc de type inattentif), et je suis a priori identifié haut potentiel intellectuel. Wahou, ça me fait une belle jambe.

Okay, mais alors c'est quoi le TDAH ?

Le trouble du déficit (ou déficitaire, j'ai lu les deux) de l'attention avec ou sans hyperactivité est un trouble qui fait partie des troubles neuro-développementaux (TND), un ensemble de dysfonctionnements neurologiques causés par un développement différent du cerveau. Autrement dit, le cerveau s'est développé d'une telle façon que cela impacte des fonctions cognitives, avec des conséquences qui peuvent varier au cours de son évolution. Ça ne s'attrappe pas, on naît avec en quelque sorte. Les causes ne sont pas certaines mais les chercheurs soupçonnent que la génétique y jouerait un rôle prépondérant.

Le TDAH est caractérisé par un déficit ou un excès d'attention (car oui, les deux sont possibles), le cerveau TDAH étant à la recherche de neurotransmetteurs (tels que la dopamine, la noradrénaline et la sérotonine) ainsi qu'une hyperactivité qui peut être physique (le cliché de l'enfant qui ne tient pas en place) ou mentale (le cerveau ne s'arrête jamais, il n'a pas de repos). Une personne TDAH est une combinaison de déficit/excès d'attention et d'hyperactivité, qui varie en fonction des individus. L'une peut être principalement inattentive (sans hyperactivité visible) tandis qu'une autre principalement hyperactive.

En ce qui me concerne, je serais majoritairement inattentif, et j'aurais aussi de l'hyperactivité mentale et physique bien qu'elle soit moins marquée. Alors, comment cela se traduit-il au quotidien ? C'est là que le bilan avec la neuropsy a été très intéressant, car il m'a permis de comprendre que certains de mes problèmes pourraient être liés à ce trouble. En effet, le TDAH affecte la régulation des émotions, mais aussi les fonctions exécutives ou encore la perception du temps, et cela a des conséquences bien visibles dans la vie de tous les jours.

Personnellement, je lutte principalement contre quatre gros problèmes:

  • j'oublie très régulièrement des consignes ou des choses à faire (mais littéralement 30 secondes après y avoir pensé ou que l'on me l'ait dit) ;
  • je procrastine énormément pour les tâches n'ayant aucun intérêt, au point que ça me cause des soucis assez importants (genre santé & co) ;
  • ma concentration et/ou mon attention sont très variables, ce qui rend la vie compliquée quand il s'agit de bosser ;
  • mon estime de moi est un roller coaster, et mes humeurs peuvent varier du tout au tout très rapidement.

Pour illustrer ces quelques points, je vais tenter de décrire comment ça semble fonctionner chez moi et comment je le vis. Si vous n'êtes pas familier de ces troubles, vous pourriez être tenté de penser qu'il s'agit d'un manque d'effort de ma part ou juste que je suis un fainéant en puissance, et je vous assure que c'est ce dont j'étais persuadé jusqu'à très récemment.

Prenons l'exemple des consignes que je zappe très régulièrement, avec un cas très concret: la gestion de la lessive à la maison. Nous sommes à table en famille, on discute des tâches ménagères et ma femme me fait remarquer que la lessive s'entasse et qu'il faudrait aller s'en occuper (oui, je suis le préposé aux lessives). J'approuve et garde ça dans un coin de ma tête, du moins j'essaie. Une fois sorti de table, je fais tout sauf aller m'occuper de la lessive, tout simplement parce que je n'y pense absolument plus. Ma femme me reparle de la lessive, et là bing je percute et en effet, j'avais dit que j'allais m'en occuper. À partir de là, il y a plusieurs scénarios possible, mais le plus courant c'est que je suis attrapé par autre chose et bien sûr je zappe totalement de m'en occuper. Elle ne manque pas de m'en reparler en début de soirée, je lui réponds qu'elle ne doit pas s'inquiéter, qu'une fois sorti du salon je m'en occuperai. Devinez quoi ? Une fois sorti du salon je file dans mon bureau et la lessive attend toujours. Après 3 jours comme ça, le linge est vraiment en retard et je dois me le répéter en boucle (ou me mettre des alertes sur smartphone) pour ne pas oublier de m'en occuper. C'est comme ça toutes les semaines, mais ça peut varier: certaines semaines je pense tout seul à gérer les lessives de temps en temps et j'arrive à le faire, d'autres ça va être catastrophique. Le pire dans l'histoire, c'est qu'à certains moments de la journée je me rends compte qu'il faut que je m'en occupe, mais je remets à plus tard et ça part dans les limbes. Ça se manifeste aussi assez régulièrement sous diverses formes: je laisse le coffre de la voiture grand ouvert durant la nuit car j'ai zappé de le fermer, les yaourts et autres produits frais dans l'entrée car je me suis interrompu dans le rangement des courses, etc... Cela peut être expliqué par un déficit d'attention, le fait de penser à autre chose à un moment et de basculer toute son attention sur cette nouvelle chose, dégageant ce qu'on essayait de garder en tête.

Le fait de remettre des tâches au lendemain est le propre de la procrastination. Et je suis très fort en procrastination, par ailleurs. J'ai de la chance, cela ne m'impacte pas énormément dans mon travail car je bosse dans un domaine qui me passionne, et généralement les tâches à réaliser sont plus qu'intéressantes ! Pour le reste par contre, c'est une autre histoire. Prendre rendez-vous chez le coiffeur peut littéralement me demander plusieurs semaines: je sais que je dois prendre rendez-vous, je sais que plus j'attends et plus c'est urgent, mais je n'arrive tout simplement pas à le faire. Quand je pense au fait que je dois prendre un rendez-vous, j'angoisse en partie par le fait de devoir passer un appel et le fait de ne pas pouvoir dans l'immédiat appeler (ou prendre un rendez-vous en ligne). Dans certains cas, j'arrive à me mettre un (ou deux) rappels sur le smartphone, remettant la tâche au lendemain tout en sachant que les rappels marchent de temps en temps. La plupart du temps, c'est juste remis à plus tard, si je n'oublie pas. Fun fact: en août dernier, j'ai réussi à appeler le salon de coiffure un jour avant qu'il ne ferme pendant 3 semaines pour congés d'été. Rendez-vous fut pris pour la rentrée (mais j'avais réussi à appeler !). Comprenez bien: je sais que je dois prendre rendez-vous, je sais que je peux le faire (je connais la procédure à suivre, le discours à tenir et les informations à fournir), je sais que ce n'est pas sorcier à faire et que ça semble complètement débile de bloquer dessus, mais ça juste bloque. Et je ne parle pas des rendez-vous médicaux, qui eux n'ont pas de caractère urgent (les cheveux longs au bout d'un moment je ne les supporte plus). Ce qui fait qu'il me faut non pas quelques semaines mais quelques années pour me décider à prendre rendez-vous pour un souci médical. Appeler un dentiste ou un médecin généraliste ne sera possible que s'il y a une urgence vitale. Dans les autres cas, ça sera une galère monumentale. Cela pourrait être expliqué par un trouble des fonctions exécutives, encore une fois assez caractéristique du TDAH.

Côté attention/motivation au travail, c'est assez variable. J'ai l'habitude de dire à mon manager que je suis efficace 50% du temps, et que les 50% restant je suis juste bon à rien. Ce qui l'étonne toujours car j'arrive à presque tout le temps boucler mes missions, livrables ou autre travail en temps et en heure, ce que la neuropsy justifie par mes capacités à focus (voire hyperfocus) sur une tâche précise, mais seulement par moment. Ce qui expliquerait que je sois capable de boucler mon travail dans les délais, je suis donc une personne chanceuse. En pratique, je m'en veux assez souvent de ne pas arriver à me lancer sur une tâche que je dois faire, en particulier durant ces journées où je me retrouve à perdre du temps sur tout autre chose. Oui, l'hyperfocus peut aussi vous pourrir la vie: récemment il a fallu que je regarde toutes les vidéos de réaction aux nouvelles chansons de Linkin Park ainsi que les vidéos en question plusieurs fois bien sûr, ce qui m'a pris entre 3 et 4 heures, sans raison apparente si ce n'est qu'ils ont une nouvelle lead singer (Emily Armstrong). Des fois, c'est une journée de perdue à errer sur l'ordinateur sans arriver à faire quoique ce soit. Et ça donne un sentiment très désagréable d'imposteur, d'escroc, et ça impacte forcément l'estime de soi.

Pour terminer sur les exemples, tant qu'on en est à parler estime de soi, causons un peu du roller-coaster de l'humeur. Je bosse dans la cybersécurité et une partie de mon boulot consiste à chercher des vulnérabilités dans des produits, et de les exploiter. C'est quelque chose que j'apprécie particulièrement, et je prends ça la plupart du temps comme un challenge. Lorsque je suis sur un audit, je peux passer d'un état euphorique car j'ai trouvé une vuln au quinzième sous-sol quand je n'arrive à rien, ou que je me suis trompé. Je vais être super content le lundi, et à moitié dépressif le mardi. Et à nouveau super content le jeudi car j'aurais débloqué une situation. Un roller-coaster d'émotions, qui déteint généralement sur la vie de famille. Mais bon, j'arrive habituellement à passer outre, à relativiser au bout d'un moment et atténuer les effets. Une possible mauvaise gestion des émotions causée par le TDAH, d'après la spécialiste.

Un nouveau regard sur le passé

Quand on commence à soupçonner un possible trouble neurologique et qu'on se rend compte que c'est peut-être ça qui nous cause tout un lot de soucis, on se prend rapidement à interpréter le passé au regard de ce trouble. Tous ces trucs qui, lorsque j'étais plus jeune me semblaient bizarres mais pour lesquels je n'avais pas d'explications, étaient peut-être simplement causés par ce trouble ? Toutes les galères dans le monde professionnel, les erreurs et les incompréhensions, auraient-elles une explication logique ? On analyse alors son passé au prisme de ces hypothèses, et on tente de faire des liens (à tort, des fois).

Le plus simple a été de reprendre à partir du collège/lycée, car c'était relativement frais dans ma mémoire. Les oublis de matériel de cours, de leçons, les signatures des parents imitées sur les devoirs en tout début de cours car j'avais simplement zappé de le leur faire signer à la maison (un graffiti et hop, problème réglé); la fois où la prof d'anglais en a eu marre de mon énième oubli et m'a sorti un "silly you !" que je n'ai pas compris et que ma voisine m'a expliqué, ou encore les moments où j'agaçais les voisins en tapant de façon rythmée sur le pied de la table avec ma chaussure... chose que je fais encore maintenant lorsque je bosse dans mon bureau à la maison. Et je passe les fois où je me suis fait attraper en cours à dessiner sur une feuille alors qu'on travaillait sur tout autre chose, et ce particulièrement en français et en philosophie, deux matières qui ne m'intéressaient pas du tout. Ou alors je bossais sur des programmes et algorithmes sur lesquels je me prenais la tête. Et puis je parle vite, très vite même des fois. Depuis tout petit. Au point que certaines fois, il y a tellement de trucs que je veux dire que ça cafouille.

Côté professionnel, ça a été encore plus flagrant, surtout au regard de mes derniers postes. J'ai déjà mentionné dans ce billet l'état catastrophique de mon bureau, au point que l'on m'a demandé plusieurs fois de vraiment le ranger car des clients ou des grands chefs allaient passer dans les locaux et que mon bureau faisait vraiment tâche (et c'est rien de le dire). J'avais la place pour poser mon laptop et une souris, et le reste n'était qu'empilement de papier ou de matériel, mais malgré tout je m'y retrouvais dans tout ce bazar ... ou pas. Certains trucs finissaient par être enfouis et je ne remettais la main dessus que lors des très rares sessions de rangement. Tous ces jours où je n'arrivais pas à avancer mon travail, où je me perdais dans des projets qui n'ont rien à voir ou pire, sur des vidéos Youtube. Ces moments où j'avais trop de choses à faire que je ne savais pas par quoi commencer, et qui me bloquaient purement et simplement. Les jours où j'avais des réunions ou rendez-vous importants et pendant lesquels je n'étais pas fichu de me lancer dans une tâche gourmande en temps ou en attention (ça peut me ruiner une demie-journée sans problème). Ces réunions où je lâchais le fil car ça n'avançait pas assez vite, ou alors où il était plus facile de parler par écrit que d'activer le micro et de prononcer des mots.

Alors quoi, je ne serais pas juste un gros étourdi gaffeur et paresseux ? Tout ça pourrait s'expliquer au travers d'un trouble ? Ça fait quand même une sensation bizarre: je me sens soulagé et coupable en même temps. Je suis soulagé car j'ai passé tout ce temps à me demander comment faisaient les autres, comment ils arrivaient à assurer là où pour moi ça semblait compliqué. Et que de me dire que je n'en faisais pas exprès, que c'est juste là et que je n'y pouvais rien, ça fait du bien. Mais coupable aussi en même temps car cela peut sembler désormais facile, comme une excuse, de dire que tel oubli ou telle difficulté est juste "normale" car causé(e) par le trouble en question. En réalité, il m'est toujours difficile de juger à quel point une tâche spécifique m'est plus difficile à réaliser que pour une personne neurotypique.

Et puis il y a ces particularités que j'ai qui ne rentrent pas forcément dans le moule du TDAH. Depuis tout jeune, je suis réchauffé comme disent mes parents. Je ne porte que des t-shirts toute l'année, les pulls et les sweat-shirts me donnent bien trop chaud. Mon thermostat est déréglé, d'après ce que j'ai compris. Je ne porte d'ailleurs que certains jeans et t-shirts, et ce depuis au moins le collège. Je suis le désespoir de ma femme qui m'offre des t-shirts geeks en pensant me faire plaisir, mais que je ne mets pas car la sensation de ces derniers m'est vraiment désagréable. Et qui du coup sont redistribués dans la famille. Et je ne parle même pas des soucis de couverts: toutes ces fourchettes aux dents tordues que je dois redresser pour ne pas que ça m'agresse la bouche, ou ces petites cuillères que je sélectionne méticuleusement en fonction de leur forme, de leur manche, car cela peut vraiment m'agacer d'avoir une cuillère trop incurvée ou aux bords irréguliers. Ce dont ma famille a découvert l'existence et se moque allégrement depuis pas très longtemps, par ailleurs.

Tout cela serait donc potentiellement causé par un trouble neuro, et je ne suis pas bizarre mais juste différent ? On m'a beaucoup parlé de spectre et de similitudes entre plusieurs troubles, et en effet c'est ce que je commence à comprendre. C'est comme un puzzle dont les pièces commenceraient à s'emboîter, et où l'on distinguerait une forme générale. Et ça fait très bizarre.

L'après bilan

Il m'a fallu plusieurs mois pour accepter le fait que j'ai un probable TDAH, et que la grande majorité des problèmes que je rencontrais pouvait être causé par un trouble neuro-développemental. Je dis bien probable car il n'y a eu aucune validation par un psychiatre de ce diagnostic.

Quand j'ai échangé sur le sujet avec des personnes concernées, on m'a bien fait comprendre que tant qu'un psychiatre n'a pas validé le diagnostic, il n'y a juste pas de diagnostic et donc aucune certitude que ce soit bien cela. C'est assez frustrant car la neuropsychologue, pour lui avoir parlé de mes doutes suite à mon bilan, est quant à elle convaincue de la présence de ce trouble chez moi, tandis que je doute encore et toujours. Non pas que je pense qu'il s'agisse d'autre chose, non, juste qu'il y a encore quelques éléments qui ne rentrent pas dans le tableau du TDAH (bien que certains oui, sans trop de doute). Après, je ne suis pas expert ni neuropsychologue, donc mon avis ne vaut pas grand chose.

Avec du recul, je me pose de réelles questions quant à la nécessité d'un diagnostic. J'avais entamé cette démarche pour savoir, pour avoir des réponses concernant mes difficultés et ma gestion particulière des émotions, et non pas un "peut-être" qui laisse encore place au doute. Mais quand je vois la difficulté que c'est de trouver des professionnels qui connaissent ces sujets, les temps d'attente (on parle de plusieurs années !) aux Centres Ressources Autisme (CRA) dans le cadre du Trouble du Spectre Autistique (TSA) par exemple, ou encore les spécialistes qui n'acceptent pas de nouveaux patients, je me dis qu'au vu de ma situation cela ne vaut peut-être pas la peine d'aller allonger les listes d'attente juste parce que j'ai besoin de savoir. D'autres personnes souffrent bien plus de ces troubles et ont réellement besoin d'aide pour pouvoir juste vivre, alors qu'en ce qui me concerne je ne m'en sors pas trop mal.

À tous ceux qui sont dans une démarche diagnostique, que ce soit pour un TDAH, un TSA ou autre qui vous pourrit la vie, vous avez vraiment un courage de fou 😖.

Petite liste de ressources pour approfondir si le sujet vous intéresse:

08
juil.
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Une folle semaine à Pass The Salt & leHACK

Publié le 08 juillet 2024

Le début du mois de juillet fut rude, car je devais présenter plusieurs talks lors de deux conférences se déroulant la même semaine, Pass The Salt et leHACK. Ce qui signifie un déplacement à Lille suivi de Paris pour enfin rentrer à la maison dans un état de fatigue indescriptible. Ce fut une semaine folle, riche en rencontres mais aussi beaucoup de trajets en train et pour une fois, pour une fois pas une minute de retard dans les horaires SNCF (ce qui, pour ceux qui me connaissent, est un exploit formidable) !

Pass The Salt

La conférence Pass The Salt se tient depuis 2018 à Lille, à l'école Polytechnique de Lille précisemment. Elle dure trois jours, propose une sélection de talks et de workshops en anglais, et reprend la tradition des présentations courtes improvisées (ou "rumps") du SSTIC. J'avais proposé un talk sur la conception d'un désassembleur pour la machine virtuelle Erlang BEAM, qui a été accepté et que j'ai donc donné le mercredi, avec un démarrage bien loupé qui a été remarqué. Je suppose que ça sera sur la vidéo en ligne, et s'ajoutera à d'autres prestations lors desquelles je n'ai que moyennement assuré (celle d'un SSTIC avec la projection qui ne fonctionnait pas était jusqu'à ce jour la plus malaisante en ce qui me concerne, peut-être désormais détrônée). Il n'y a pas mort d'homme, mais c'est toujours mieux de bien lancer un talk.

Conférence d'ouverture de Pass The Salt 2024

Pass The Salt a aussi été l'occasion de revoir des connaissances, de discuter cyber-sécurité et de troller comme dans tout bon event qui se respecte. Les conférences c'est aussi ça, rencontrer des personnes et échanger, découvrir de nouveaux domaines ou de nouvelles approches.

Plusieurs talks ont piqué ma curiosité, et le premier fut celui de Xavier Mertens intitulé HA = Not "High Availibility" But "Hunting Automation" dans lequel l'auteur explique ses différentes recettes pour automatiser la collecte de samples, leur envoi automatisés à des services tiers et le triage de ces derniers, le tout à base de code Python. Xavier Mertens ne se prétend pas développeur mais a pu ainsi automatiser une bonne partie des tâches et peut désormais se concentrer sur l'essentiel, à savoir l'analyse des artefacts qui sont mis en avant par son automatisation !

Le talk d'Alessandro Di Federico concernant le décompilateur *rev.ng* et l'idée d'utiliser le TCG de QEMU pour faire de la décompilation état aussi très intéressant ! Pour avoir plongé dans le code de QEMU et notamment du Tiny Code Generator de Fabrice Bellard lorsque je bossais sur l'ajout du support du RH850 de Renesas dans Unicorn, je trouve en effet leur approche très pertinente, bien qu'à mon avis le passage entre la représentation intermédiaire du TCG et celle de LLVM ne doit pas forcément être évident. Au final, rev.ng supporte 6 architectures CPU différentes (supportées aussi par QEMU, de fait), expose une simple API qui permet de le piloter et intègre des outils pour charger des fichiers ELF, PE, Mach-O ou encore les fichiers IDB d'IDA Pro.

Enfin, le talk de Davide Toldo Affordable EMFI Attacks Against Modern IoT Chips démontrait qu'avec un investissement assez faible et grâce à des outils open-source, il est possible de réaliser facilement des injections de faute par induction de champ électro-magnétique. L'outillage est accessible, nécessite quelques PCBs sur mesure et une CNC, mais les résultats sont très probants !

leHACK

Après le second jour de talks et juste avant les rumps, je pars à la gare direction Paris pour avoir le temps de me poser à l'hôtel et souffler un peu. Le repas des speakers est d'ailleurs prévu le jeudi soir. Ce fut la course pour aller faire le check-in à l'hôtel, je croise au passage des membres de l'orga ainsi que des speakers se préparant à partir pour le Hang'Art, l'endroit où se déroule le dîner des speakers. Après un rafraîchissement à l'hôtel, je retrouve les gens de HZV et les speakers de cette édition de leHACK, dont certains que je n'avais pas vu depuis longtemps: Deral Heiland et Jayson Street notamment. La soirée se termine assez tôt, tout le monde devant aller se reposer pour être paré pour les deux jours et demi de conférence qui arrivent.

Car oui, leHACK a lieu du vendredi au dimanche matin, et c'est un mini-marathon à tenir. En tant que speaker, j'avais proposé deux sujets totalement opposés en espérant que le comité de programme se décide sur l'un ou l'autre. En fin de compte, ce sont les deux sujets qui ont été acceptés et il m'a fallu préparer deux talks, l'un pour le vendredi et l'autre le samedi. Ce n'est pas que je n'apprécie pas de préparer et faire des talks, mais sincèrement des fois je me demande pourquoi je fais tout cela en sachant pertinemment que mon organisation personnelle est aux fraises (même si ça ne se voit pas) et que je vais terminer les slides la veille ou au pire une heure avant le talk. Surtout qu'à côté je gère aussi une animation le samedi soir, un quizz interactif avec le public appelé "Qui Veut Gagner des Bitcoins ?". Encore du boulot de préparation en plus.

Le premier talk que je donne le vendredi est similaire à celui donné le mercredi précédent à Pass The Salt, sauf qu'il est en français et qu'il contient un peu plus de contenu car le temps alloué est plus conséquent. J'en profite pour y inclure une démonstration live, ça fait toujours plaisir de prendre le risque de tout louper en direct 😅. Les retours sont plutôt positifs, bien que je sois quasi certain que le sujet n'a pas forcément passionné car il est relativement de niche (on parle de désassemblage et d'architecture peu commune). Cependant, j'ai eu le plaisir de rencontrer des personnes d'Ericsson après le talk, avec qui j'ai pu échanger sur la recherche que j'avais effectuée !

Des talks techniques et non-techniques

J'ai aussi pu assister aux talks du vendredi, dont certains que j'attendais avec impatience. La présentation de K. Melton, Phishing for potential: the 'RTFM' guide to hacking your brain-frame, était l'un d'entre eux, et je n'ai pas été déçu. Elle aborde dans sa présentation la manière dont les talents de la cyber- sécurité sont recrutés, et en particulier ceux possédant comme elle un ou plusieurs handicaps invisibles. Les handicaps invisibles sont, comme elle l'a bien expliqué lors de son intervention, indécelables de prime abord mais posent des problèmes au niveau organisationnel, social et comportemental pour la personne concernée. Elle a par ailleurs mis en avant les caractéristiques essentielles d'un environnement de travail sécurisé (au sens safety) pour ces profils tout comme la nécessité pour ses derniers de rechercher ces types d'environnement afin de ne pas finir en burn-out, ou pire. Un talk qui ne traitait pas de technique mais beaucoup plus de l'humain, de neurodiversité et de comment trouver sa place et s'épanouir malgré des difficultés. Et ça a fait mouche, certaines personnes du public s'y retrouvant et insistant qu'il devrait y avoir plus de talks comme celui-ci.

K. Melton à leHACK 2024

La présentation de Jessie sur la découverte du groupe APT-C36 sur les réseaux d'une profession libérale réglementée était l'occasion d'avoir un retour d'expérience sur une investigation inforensique menée dans le cadre d'une intrusion réelle, dans la vraie vie. Il est toujours cocasse de voir à quel point les attaquants peuvent se moquer du choix de leurs mots de passe, ou se tirer dans les pattes à coup de keyloggers. Le passage en revue de la méthodologie, l'identification des indicateurs de compromission et la timeline de cette dernière sont très intéressantes. Bon talk, dommage qu'il ait été un peu cours (mais l'orateur parlait vite, donc bon ça ne compte pas 😉).

Après un aller-retour à la maison pour récupérer les minis-moi qui participent à leHACK Kidz et les avoir confiés aux animateurs, la seconde journée de leHACK commence. Le premier talk auquel j'ai assisté était celui d'Erwan Corbier, aka "biero", qui expliquait comment un groupe activiste pouvait monter des attaques ciblant des installations industrielles tout en étant furtif et en se basant sur de la recherche exhaustive de mots de passe, technique observée IRL et exploitée par différentes groupes. L'approche "tutorial" de ce talk est quelque peu déroutante, mais l'orateur a pris le soin de ne pas trop mâcher le travail pour des attaquants voulant reprendre sa méthodologie.

La première présentation de l'après-midi fut celle de Shutdown (Charlie Bromberg), Trouver sa place dans l'infosec. Ce talk m'intéressait particulièrement pour plusieurs raisons, dont la principale est qu'étant dans ce milieu depuis un moment je ne suis plus forcément au fait de ce qu'est l'infosec actuellement quand on débute. J'ai pu échanger avec des étudiants rencontrés durant l'évènement, qui m'ont fait part de leur difficulté à trouver des jobs dans le domaine alors que l'on nous répète à l'envie que c'est un secteur qui embauche à tour de bras et manque cruellement de candidats. Bref, c'était l'occasion d'avoir le retour d'une personne qui a déjà plusieurs années dans l'infosec et qui fait le point sur tous ces aspects qui n'existaient pas ou peu quand j'ai commencé: bug bounty, mindset, ressources, etc. Et je n'ai vraiment pas été déçu. J'avais déjà vu Shutdown sur scène lors de la précédente édition, et il est clairement fait pour ce type d'exercice: il est vraiment à l'aise devant le public, sait dérouler son sujet tout en gardant le public intéressé, plaisante avec aisance... Il a notamment évoqué la pratique du bug bounty en fonction du contexte (CDI/freelance), des salaires dans l'infosec en fonction des pays (au passage, top de rappeler que les salaires alléchants des US tiennent compte du coût de la vie, y compris la santé), de la balance pro/perso, avec des témoignages et conseils d'autres personnes comme Lupin (Roni Carta) et d'autres hunters. C'est d'ailleurs étonnant de voir que maintenant en infosec on juge le niveau des personnes en fonction de leur classement sur YesWeHack 😋.

Il y a tout de même un point super important qui a été évoqué à plusieurs reprises dans ce talk: le fait de rentrer dans le moule. Et ça fait pas mal écho à ce que disait K. Melton la veille, que certaines personnes peuvent tout à fait convenir à un job en se forçant à rentrer dans le moule, mais qu'il fallait faire attention au burn-out qui pointerait son nez au bout d'un certain temps. Shutdown le mentionne également dans son talk, insistant sur le fait qu'il a du faire des choix pour arriver à concilier vie perso et vie pro.

Second talk & premier gros stress

Je n'ai pas suivi les autres talks car je devais aller m'occuper de la chambre d'hôtel mais aussi me préparer pour mon second talk, a praise to laziness (or why hackers are awesome people). J'avais donné un talk abordant le sujet de la paresse à un meetup du DEF CON Group Paris il y a quelques années, mais c'était un embryon de celui que j'ai soumis cette année à leHACK. J'ai longuement hésité avant de le soumettre, sachant que je comptais aborder un sujet non-technique et que ça impliquait aussi de parler de neurodiversité, sujet sur lequel je ne suis pas très à l'aise. J'y aborde en effet la question d'une possible prévalence de profils neuro-atypiques dans le monde du hacking et de l'infosec en particulier, car tout comme l'a mentionné Shutdown dans son talk (et K. Melton indirectement), il existe un mindset hacker et il est légitime de se demander si ce mindset ne ferait pas référence à une manière de fonctionner, chose que j'ai beaucoup entendu dans de nombreuses discussions ou témoignages de hackers. Ce qui implique de parler de troubles neurodéveloppementaux comme le TDAH (Trouble du Déficit de l'Attention avec ou sans Hyper-activité) ou le TSA (Trouble du Spectre de l'Autisme), car les personnes atteintes de ces troubles peuvent avoir certaines capacités qui correspondent à ce fameux mindset hacker. Mais aussi des difficultés associées, évoquées par ailleurs par K. Melton dans son talk, difficultés qui ne sont pas forcément visibles (cf. le handicap invisible dont K. Melton parlait dans son talk).

Je n'étais vraiment pas serein sur ces sujets car ne m'estimant absolument pas légitime, mais je suis persuadé tout comme K. Melton qu'il est important d'en parler, quitte à prendre le risque de mal dire les choses et me faire corriger. À ce jour, je ne sais toujours pas exactement comment mon propos a été perçu ni s'il était pertinent, j'espère juste sincèrement que je n'ai pas énervé ou froissé des personnes concernées, ma plus grande hantise étant qu'elles se demandent en quoi ce type qui s'est excité sur scène peut parler au nom des hackers qui vivent avec ces troubles. Je crois que c'est le premier talk que je fais depuis des années pour lequel je suis complètement flippé du retour. Je parlais d'ailleurs dans la conclusion de ce talk que sortir de sa zone de confort est challengeant, j'ai oublié de rajouter que c'est aussi très stressant et que ça peut ressembler à une plongée vers l'inconnu.

J'ai rencontré par la suite des personnes qui avaient assisté à mon talk et qui m'ont dit que certains points que j'avais évoqué leur parlaient beaucoup, que ce soit sur l'aspect "asynchrone" du travail (une journée non-productive suivie d'une journée ultra-productive qui rattrappe la précédente) ou encore les difficultés qu'elles rencontraient. Il y a eu des discussions, des partages d'expériences, et cela a un peu atténué l'opinion (médiocre) que j'avais de ma prestation. J'ai aussi eu droit à un peu de discours validistes, et j'ai essayé d'expliquer de mon mieux et de faire comprendre un autre point de vue.

Remise du black badge aux gagnants du challenge

Cette édition de leHACK était aussi particulière car le challenge du black badge faisait son grand retour. Ce challenge est relativement simple: si un (ou plusieur) participants résolvent le challenge du badge, il(s)/elle(s) remportent un badge collector donnant accès à vie à l'évènement: le black badge.

Ce challenge a été résolu durant la conférence et le black badge que j'avais conçu durant ces derniers mois a été remporté par Les Pires Hats ! Je suis super satisfait du rendu final, et encore bravo aux hackers qui ont collaboré pour réussir l'ensemble des étapes 🤘.

Qui veut gagner des bitcoins

Enfin, la journée de samedi s'achève avec l'organisation du jeu Qui Veut Gagner des Bitcoins, un quizz interactif orienté infosec/hacking/culture générale dans lequel le public participe pour gagner des lots. Tout s'est à peu près bien déroulé, sauf un fail de ma part: je n'ai pas emmené avec moi la toute dernière version du soft qui fait tourner le jeu, et c'est parti en sucette à un moment donné 😱. Gros flip, mais je m'en suis sorti et le jeu a pu se terminer comme prévu, avec la victoire de la team Azgar !

Il est minuit, je n'ai plus trop de voix, je suis fatigué, mais on passe un peu de temps au wargame avec un de mes minis-moi histoire de lui montrer à quoi ça ressemble. Il est deux heures du matin passées, on plie bagage et on part en direction de l'hôtel. Fin de cette édition leHACK en ce qui me concerne, je suis rincé et je mérite bien quelques heures de sommeil avant de prendre le train et de retrouver mon chez-moi.

Le mot de la fin

Cette édition de leHACK fut encore une fois riche en rencontres, très intéressante notamment grâce à des talks moins techniques mais touchant à des thèmes connexes au hacking, et toujours aussi éprouvante 😅. Il y a aussi eu du fun ("votez Exegoche"), je me suis éclaté à faire à nouveau Qui Veut Gagner des Bitcoins, et j'ai l'impression que cette vingtième édition a gagné en maturité. Encore un p*tain de grand merci à l'organisation, aux volontaires qui font un taf de dingue pour que tout se passe comme sur des roulettes, Psycho pour les introductions de talks, Kodokan pour son implication de malade dans leHACK Kidz et les gars de la régie qui assurent pour que tout se passe nickel sur scène avec du son et de la vidéo qui fonctionne 😘 !

13
août
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Review honnête du Fairphone 4

Publié le 13 août 2023

Après avoir mis 50€ dans des pièces de remplacement pour mon Huawei Mate 20 (mon smartphone depuis 5 ans, qui en avait bien besoin), le voici à nouveau mal en point: écran cassé et coque arrière explosée malgré une coque de protection. D'accord, je n'aurais peut-être pas du le laisser sur une chaise noire, dans sa coque de protection noire... J'étais parti pour dépenser à nouveau 50€ sur AliExpress en pièces de rechange, lorsque ma chère et tendre femme me fait remarquer que je pourrais le changer pour en prendre un nouveau, vu que cela fait 5 ans que je l'utilise.

Si vous avez lu mon billet précédent (cf. De la réparabilité des bidules high-tech), vous devez savoir que je préfère nettement réparer un smartphone que d'en acheter un nouveau, donc ma réaction première a été de rejeter directement l'idée d'en changer. Sauf que (attendez un peu avant de me jeter les tomates). Je me suis promis que mon prochain smartphone serait un Fairphone si l'ancien venait à lâcher (si si, vous vous en souvenez si vous avez bien lu le billet précédent jusqu'au bout), et après réflexion c'était l'occasion d'en avoir un avec une remise de mon opérateur, donc moins cher. Même si l'idée d'acheter un nouveau smartphone ne me plaisait que moyennement, celle d'avoir un Fairphone me plaisait quand même un peu beaucoup, et pour tout plein de raisons. Pas de panique, je vais réparer mon Mate 20 par la suite et lui redonner une nouvelle jeunesse (ou à de la jeunesse ?).

Pourquoi j'achète un Fairphone 4

Acheter un nouveau smartphone alors que l'on peut en trouver un reconditionné ou réparé, c'est complètement débile et ça consomme des ressources qui se font rares. L'ami Inforea n'a pas manqué de me le rappeler, et il a totalement raison sur ce point. Si vous cherchez un smartphone pour faire du montage vidéo, des jeux et de belles photos assistées par IA, n'allez pas vous encombrer d'un Fairphone et partez sur un modèle reconditionné/réparé, ça sera moins cher et plus performant. Et en plus ça fait des déchets en moins !

Il y a cependant plusieurs raisons qui ont motivé ma décision de dépenser des sous dans un Fairphone, et en premier lieu sa conception matérielle. La batterie peut être changée facilement sans avoir à utiliser un pistolet à air chaud, sans prendre de nombreuses précautions pour ne pas abîmer la coque arrière, et sans avoir à lutter contre du double face ultra-résistant. Les différents organes peuvent être remplacés sans trop de difficulté, et tout est démontable avec un tournevis (sauf la coque arrière, qui est clipsée). Je suis assuré de pouvoir l'entretenir pendant des années et pouvoir remplacer les différents éléments si ceux-ci venaient à tomber en panne.

M'étant renseigné avant de me lancer, je sais que la configuration matérielle du Fairphone 4 est largement en dessous de ses concurrents pour la gamme de prix dans laquelle il se trouve (579€), mais pour l'usage que j'ai d'un smartphone cela me convient parfaitement. Je ne joue pas sur mon smartphone, je consulte les réseaux sociaux de façon régulière mais non-excessive, je ne fais que très peu de photos ou de vidéos, je l'utilise principalement pour de la messagerie instantanée (Signal, WhatsApp) et passer des appels (étonnant non ?). Cependant, le prix d'achat proposé par mon opérateur était plutôt attractif (200€, merci l'ancienneté je suppose), du coup je me suis demandé si cela valait vraiment le coup de dépenser un tel montant.

La dernière raison qui m'a motivé à tester le Fairphone est tout simplement que son bootloader est déverrouillable et qu'il a été pensé pour permettre l'installation de systèmes alternatifs à l'Android de Google. Il y a même un système d'exploitation dérivé d'AOSP (l'Android Open-Source Project) qui met un point d'honneur à ne pas intégrer les services de Google ni aucun traceur pouvant porter atteinte à la vie privée, e/OS. Je ne peux plus déverrouiller le bootloader de mon Mate 20, Huawei ayant décidé d'arrêter le service (gratuit) qui permettait d'obtenir les codes de déverrouillage (Huawei's bootloader unlock service is being shut down, gsmarena.com). Bon, entre temps Huawei a été blacklisté par les Etats-Unis et ne peut plus installer d'Android (version Google) sur ses nouveaux terminaux, mais ça c'est une autre histoire. Notez bien que d'autres fabricants de smartphone permettent de déverrouiller le bootloader et d'installer un système d'exploitation alternatif.

Je me suis donc convaincu que c'était une bonne idée d'investir dans un nouveau smartphone réparable, à batterie amovible et remplaçable, qui me permettrait de me défaire un peu plus de Google et éviter d'être tracé en ligne grâce au système e/OS.

"Ah oui, faut que je vérifie si j'en ai ..."

C'est ce que m'a dit la personne travaillant dans cette boutique de mon opérateur lorsque j'ai demandé à prendre un Fairphone 4. Je me doute bien que les personnes voulant vraiment de leur plein gré acheter un Fairphone 4 ne sont pas légion, du coup j'aurais du m'attendre à ce qu'ils aient un faible stock. Coup de chance, il en restait un et un seul, donc je n'ai pas trop eu le choix pour la couleur mais sincèrement, c'est le dernier de mes soucis.

Je demande au passage s'il y a des accessoires pour le protéger, que ce soit des coques ou autre, et elle me répond que oui. Elle file au rayon des coques et accessoires de protection pour finalement botter en touche: "ah mais pour ce modèle là on n'a rien du tout en fait, vous savez, c'est pas très courant comme modèle". Bon, ce n'est pas si grave, je trouverai bien quelque-chose en ligne me dis-je à ce moment là.

Elle me demande si je veux avoir une remise si je fais reprendre mon vieux smartphone tout cassé, je lui réponds que non j'aimerais bien le garder surtout pour la phase de migration des comptes: mon Google Authenticator est en mode déconnecté et je dois passer par un QR code pour transférer ceux-ci sur le nouveau smartphone, pas question de faire ça ici en public. Et que je dois faire encore des sauvegardes. Je rentre fièrement chez moi (après m'être soulagé de 200€ du coup) afin de déballer le smartphone. Tiens oui, c'est bizarre dis-donc, elle ne me l'a pas déballé en magasin comme ils le font d'habitude !

Me voilà donc à la maison avec ma belle boîte contenant mon Fairphone 4, et la bête intrigue la famille. Dès que je montre la batterie amovible, les anciens sont conquis: "ah ouaaaaaais, comme mon vieux Nokia de mes 18 ans !", "mais c'est trop bien ça, comme ça tu peux changer de batterie quand elle est vide !", "trop pratique le système de coque déclipsable". Je ne m'attendais pas vraiment à ça. Mais il n'aura pas fallu attendre longtemps pour avoir les vraies premières remarques critiques: "dis-donc, il est vachement épais ton smartphone...", "c'est vrai qu'il fait un peu mastoc !", "tu n'as que deux objectifs photo ?".

De mon côté, ma priorité était de trouver une coque de protection et idéalement un verre trempé (pour éviter les rayures et la casse). Une recherche sur Amazon me donne quelques produits, mais les avis sont très mitigés. Je me décide pour une coque de protection officielle (40€, ouch !), et un verre trempé compatible qui a de bons avis (environ 12€). Cela s'ajoute donc à la facture... En attendant, pas question de m'en servir avant qu'il ne soit équipé de ses protections, je vais donc en profiter pour installer le système d'exploitation.

L'installation d'e/OS, un chemin long et tortueux

Côté système d'exploitation, le Fairphone 4 est livré avec FairphoneOS, une mouture Android comprenant les services Google et adaptée au Fairphone (si j'ai tout compris). L'objectif étant de se passer de Google sur ce smartphone, je suis parti en quête de la procédure d'installation de e/OS. Cela semblait si simple dans la documentation, vous allez voir que ça a été très long à basculer réellement sur ce système.

La documentation met en avant ![un nouvel installateur](https://doc.e.foundation/easy-installer) pour e/OS qui se charge de tout, je décide de le tester. Il est censé détecter automatiquement le smartphone, trouver l'image du système à installer et vous guider pas à pas sur la procédure à suivre. En effet, il est très bien cet outil, il te prend par la main et t'explique toutes les étapes ... jusqu'au fastboot. Arrivé à cette étape, impossible d'avancer. Le mode fastboot n'est pas détecté, et l'installation de l'OS ne se lance pas. Je retente l'opération encore et encore, mais ça bloque toujours au même endroit. Je me dis que ça doit venir de la version de FairphoneOS installée dessus (car oui, j'ai du la configurer au final pour déverrouiller le bootloader, quelle ironie), et j'applique la dernière mise à jour. Je ne le savais pas à ce moment-là, mais je venais d'en prendre pour 3 semaines de plus avant de pouvoir basculer à 100% sur e/OS !

En effet, le Fairphone 4 est livré avec un bootloader qui possède une fonctionnalité d'anti-rétrogradation de firmware, un mécanisme conçu par Google pour s'assurer qu'un système reposant sur un ensemble de patchs de sécurité plus ancien que celui présent ne puisse pas être installé. Enfin si, avec un bootloader déverrouiller vous pouvez très bien l'installer et démarrer dessus, mais si vous avez le malheur de le verrouiller à nouveau c'est la brique assurée ! Je peux comprendre que ce soit un mécanisme de sécurité et que c'est très bien de l'avoir, mais il y a un p****n de risque de brickage tout de même ! Que s'est-il passé quand j'ai installé la mise à jour ? Oh, trois fois rien: le système s'est mis à jour et était basé sur le patch de sécurité de juin 2023. Sauf que la seule version installable d'e/OS reposait sur un patch de sécurité de mai 2023. Impossible de verrouiller le bootloader en état.

Je décide quand même d'installer e/OS, mais en passant par la ligne de commande. Il ne me restait juste à faire l'installation par fastboot, ce qui n'a pas pris beaucoup de temps au final. Cependant, j'étais dans l'incapacité de verrouiller à nouveau le bootloader, ce qui posait un risque (faible tout de même) pour les données stockées dessus. J'ai utilisé le système en l'état pendant mes vacances en juillet, attendant une mise à jour salutaire en provenance des développeurs d'e/OS qui serait basée sur le patch de sécurité de juin 2023.

Une fois rentré de vacances, le graal tant attendu est disponible: une mise à jour de e/OS pour Fairphone 4 basée sur le patch de sécurité Android de juin 2023 ! Je n'ai jamais autant transpiré que le moment où j'ai verrouillé à nouveau mon bootloader. Une fois re-verrouillé, mon smartphone reboote, puis reboote.... Je prends peur, mais non, au second redémarrage tout est en ordre et e/OS démarre correctement. Ouf. Mon smartphone est désormais opérationnel avec e/OS d'installé et son bootloader à nouveau verrouillé. Mais plus aucune donnée car le verrouillage a tout effacé (j'avais tout sauvegardé avant bien sûr). J'ai donc du tout réinstaller. Au final, il m'aura fallu attendre 4 semaines avant d'arriver à cette configuration finale, rien que ça.

Je m'estime toutefois chanceux car je suis coutumier de ce genre de manipulation sur smartphone, mais si Jean-Michel Noob rencontre les mêmes problèmes que ceux que j'ai eu, il y a de fortes chances qu'il n'arrive pas à installer le système ou qu'il bricke son tout nouveau smartphone en voulant s'affranchir du vilain Google.

Mes impressions après plus d'un mois d'utilisation

Le Fairphone 4 donne effectivement cette impression de "gros téléphone lourd", surtout équipé avec sa coque de protection, mais je m'y suis fait relativement vite. A chaque fois que j'ai changé de smartphone, c'était pour un modèle plus fin et plus moderne (pas trop difficile vu que c'est généralement au bout de 4 ou 5 ans). Là j'ai eu l'impression de faire un peu marche arrière, et de retrouver un smartphone en mode pavé d'antan (il fait quand même 13mm d'épaisseur !). Cependant, le design est loin d'être horrible, et on retrouve même un semblant de modernité avec la disposition des objectifs photo.

Côté autonomie, c'est là où j'ai été le plus surpris. J'avais lu ci et là que la batterie semblait un peu faible par rapport aux concurrents, et que des benchmarks donnaient environ 12h d'autonomie (11h30 par exemple dans le test de Frandroid). En pratique, avec l'usage que j'en ai, je tiens assez souvent les deux journées d'utilisation avec une recharge nocturne. La batterie termine généralement autour de 10%, ce qui n'est pas si mal. A savoir qu'en plus on peut swapper la batterie facilement, je m'imagine sans problème l'utiliser à 100% pendant une journée sans risquer d'être à court de batterie, et ce sans passer par un powerbank externe. Il manque juste à mon sens un chargeur de batterie externe, pour pouvoir recharger à la fois celle installée dans le smartphone et une batterie supplémentaire. Concernant la charge, ce n'est pas aussi rapide qu'avec mon smartphone précédent, mais la charge rapide proposée sur le Fairphone 4 fait le job. Ce n'est pas exceptionnel, mais on peut recharger de moitié en 35 minutes environ.

L'écran utilise une technologie LCD et non OLED, ce qui se ressent particulièrement quand on le consulte dehors en plein soleil, mais il est tout à fait utilisable. Le taux de rafraîchissement de 60 Hz ne m'a absolument pas posé de problème, vu que je ne joue pas sur mon smartphone et regarde assez peu de vidéos. Mis à part ce souci de luminosité, il me convient parfaitement.

Un des points négatifs mis en avant par beaucoup d'évaluations de ce smartphone concerne la photographie. J'avais lu un certain nombre de critiques sur la qualité des photos du Fairphone 4, et je dois avouer que je suis mitigé quant à son utilisation. Etant en vacances, j'en ai profité pour faire des photos dans différentes conditions et à ma surprise, ce n'était pas aussi catastrophique que ce que j'imaginais. Bon, ce n'est pas non plus époustouflant ça j'en conviens mais ce qui m'a le plus énervé est certainement l'application Appareil Photo d'e/OS plutôt que les capacités même du smartphone. En effet, plusieurs fois il m'a été impossible de prendre des photos: j'appuyais sur le bouton, mais rien, nada, l'application refusait purement et simplement de prendre la photo. J'ai fini par installer une autre application et ce problème fut réglé. Côté qualité photo, j'ai réussi à faire des clichés assez sympa je trouve, que ce soit du paysage ou même en macro (enfin, sur un sujet relativement proche dira-t-on). Ci-après quelques exemples de clichés.

entrée de port ensoleillée La mer (encore) Le toutou qui joue à rapporter le "bâton" Un scarabée qui passait par là, sur un mur

Pour ce qui est de téléphoner, cela fonctionne très bien. Je n'ai pas eu de critique de mes interlocuteurs sur la qualité du son, ce dernier semblant relativement correct quand j'ai essayé l'application Magnétophone (attention, il faut activer l'option "Enregister en haute qualité" sinon le son est horrible). Les micros ont l'air moins bons que ceux de mon ancien Mate 20, ma famille se plaignant particulièrement quand je passe en mode haut-parleur (alors qu'avec le Mate 20 je peux le poser sur la table et tout se passe très bien). Dans l'ensemble et encore une fois pour l'usage que j'en ai, ça fait l'affaire.

e/OS

Le système est vraiment intéressant: non seulement il vous permet de bloquer automatiquement les traceurs (et vous affiche des statistiques par rapport à ces derniers), mais il propose aussi un magasin d'applications qui propose une note de confidentialité sur 10 pour chaque application. Il permet d'installer à la fois les applications fournies sur des magasins d'applications alternatifs aussi bien que celles du Play Store de Google. Cela permet en un coup d'oeil de savoir si cette application nécessaire à la gestion de vos comptes bancaires est plus ou moins remplie de traceurs, par exemple. Vu que les applications Google habituelles ne sont pas fournies avec le système, cela m'a aussi donné l'opportunité de découvrir des applications alternatives que je n'avais jamais testé: MagicEarth et NewPipe notamment.

Je suis très satisfait d'e/OS, l'utilisation est vraiment top et pour le moment je n'ai eu aucun crash ou comportement bizarre. L'ergonomie est relativement bien pensée, juste peut-être les widgets que j'avais l'habitude de mettre à l'écran qui ne sont plus présents et que j'aurais bien aimé pouvoir avoir de nouveau.

En conclusion

Vous l'aurez compris au travers de la lecture de ce billet, je suis très satisfait de mon Fairphone 4 car il convient totalement à mes besoins et mon usage d'un smartphone. J'ai toutes les applications qu'il me faut, les performances de la bête sont largement suffisantes pour ce que j'en fait (et c'est la première fois que j'ai 128 Go de stockage !), bien que la qualité des photos ne soit pas celles d'un smartphone récent incluant de l'I.A. comme c'était le cas de mon précédent. Cependant, comme le disait l'ami Inforea dans un de ses pouètes, si vous voulez faire du montage sur Tiktok, jouer à des jeux dernier cri, visionner des vidéos en plein soleil ou faire des photos digne d'un appareil numérique, ce n'est clairement pas ce qu'il vous faut (allez plutôt chercher un smartphone réparé ou reconditionné).

Si vous vous décidez pour un Fairphone 4, préparez-vous à avoir des options limitées dans les accessoires et à peut-être batailler pour l'installation d'OS alternatifs. Si vous souhaitez avoir toutes les chances de pouvoir installer un système d'exploitation autre que FairphoneOS, évitez absolument d'appliquer une quelconque mise-à-jour après son achat et prenez le temps pour installer votre nouveau système (attention à l'anti-rollback).

Je n'ai pas abordé dans ce billet les arguments mis en avant par Fairphone concernant l'environnement et l'origine des différents matériaux entrant dans la composition du smartphone car il s'agissait principalement d'exposer ce que je pense du Fairphone 4 sans entrer dans des considérations éthiques.

Pour ma part, j'ai désormais un smartphone sans services Google, sans Youtube, sans Google Maps, avec Google Authenticator en mode déconnecté, qui me permet de consulter mes mails, de discuter sur les réseaux sociaux et de me tenir informé. Et de regarder quelques vidéos aussi. Il est réparable (sauf la carte mère), son autonomie est top pour mon usage, et je sais que je peux acheter une batterie supplémentaire au lieu d'investir dans un powerbank de malade.



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