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Des réseaux dans les réseaux

Publié le 09 janvier 2012

On nous tanne le mou depuis des années avec le piratage, l'HADOPI et les méchantes personnes adeptes du téléchargement de type pair à pair, ou P2P. C'est encore très présent de nos jours avec la volonté de l'HADOPI de filtrer les sites de streaming, ou de lutter encore et sans merci contre les (derniers) adeptes du P2P. Ou du moins ceux qui n'ont pas encore découvert MegaUpload & consors et les joies du téléchargement direct. Malheureusement, cette chasse aux sorcières est vaine et pousse les choses dans le mauvais sens.

Une chasse qui tourne court

Plusieurs serial-downloaders se sont fait attraper par la Haute Autorité, mais à ce jour aucun d'eux n'a été envoyé dans un tribunal. Il semble que le troisième volet de la riposte graduée ne soit pas encore très prisé par la HADOPI elle-même, comme le montre le cas de l'enseignant Thollot. Elle préfère le pédagogique au répressif, en conformité avec sa raison d'être.

La société mandatée par les ayants-droits et autorisée par l'HADOPI à collecter les adresses IP des pirates a montré ses faiblesses, révélées par Bluetouff, et l'interconnexion entre la Haute Autorité et cette société est toujours interrompue, bien que l'audit de sécurité mené par HSC ait été réalisé et le rapport remis.

A quelques semaines des élections, les programmes des candidats divergent, et certains parlent déjà de supprimer cette Haute Autorité qui ne sert à rien, si ce n'est à faire peser au dessus de la tête de Madame Michu une bonne vieille épée de Damoclès. "Attention, si tu télécharges, ca va couper !", comme disait notre ami Dédé.

Les artistes se meurent ... mais ne se rendent pas !

Alors oui, on va me dire que les artistes se meurent, et que la rémunération de la création n'est pas ce qu'elle devrait être. Pouvez-vous me dire ce que l'HADOPI a fait pour améliorer la rémunération de la création d'œuvres ? Hmm ? Pas grand chose,`aneffé <http://www.laquadrature.net/fr/hadopi-albanel-passe-son-oral-020>`_. Bon, je ne commenterai pas la bonne santé des cinémas français, ni le regain d'intérêt des spectateurs pour la 3D, ou encore les records battus par Intouchables ou Bienvenue chez les ch'tis. Le modèle de rémunération français est obsolète, qu'on se le dise. Plusieurs artistes ont démontré qu'ils pouvaient être rémunérés (et très bien rémunérés) pour leur travail en se passant d'intermédiaires, avec une interaction directe avec leur public, comme Radiohead ou encore Louis CK.

Et non, les intermédiaires ne sont pas morts, je suis sûr qu'il y a encore de la place pour des fans de marketing viral, des adeptes et accros à Twitter et Facebook, et des personnes à même de faire connaître des artistes par leur dimension sociale. Ces gens là ont un avenir dans le monde artistique. Tout comme les artistes eux-mêmes. L'heure de la dématérialisation a sonné le glas d'un système archaïque, et tend à être la norme d'une jeunesse qui a grandi avec YouTube, DailyMotion et iTunes.

Les acteurs du futur de la création ne sont pas ceux que l'on attend. Non, ce n'est pas aux fans de musiques, de groupes, de mouvements divers de pousser au changement; ce n'est pas non plus aux maisons de disques de sauter le pas, de tenter l'aventure numérique. Non. Ces changements, ces prises de risques, ce sont aux artistes de les faire, de les prendre. Les artistes sont le moteur de la création, ce sont eux qui créent et font vivre leurs œuvres. En n'acceptant pas un modèle figé et ancien, en utilisant les nouveaux modes de communication et de diffusion ils toucheront un plus large public, et bénéficieront de cela. Et s'il y a une chose dont je suis sûr, c'est que ce public saura le leur rendre. Comme je l'ai mentionné dans un précédent post: osez. C'est à vous de faire l'avenir de la création artistique, ne soyez pas attentistes. Okay, je pense que vous avez saisi mon propos.

Et les réseaux dans tout ça ?

Eh bien ce sont eux qui en pâtissent, car un des effets de la répression des téléchargements de contenus illicites via P2P est la migration d'une grande partie des pirates vers des solutions non-fliquées, comme le streaming ou le téléchargement direct (direct download, ou DDL), abusant ainsi du modèle client/serveur et générant un trafic monstre. Trafic tellement important, que plusieurs FAIs ont bien essayé de le limiter en douce. En fait, il s'agit d'un rétro-pédalage dans l'innovation technologique. Je m'explique.

Le système classique (qui a dit ancien ?) est basé sur un ou plusieurs clients demandant une ou plusieurs ressources à un serveur. On a donc un seul serveur qui dessert une certaine quantité de clients. Au delà d'un certain nombre de clients, le serveur reçoit trop de demande et ne peut toutes les satisfaire: il y a saturation (et ce brave serveur ne va pas s'en remettre de suite). L'avantage du système de téléchargement P2P, c'est que dès qu'un client a récupéré un bout d'une ressource, il la partage aux autres (et agit donc comme serveur à son tour), ce qui a pour conséquence d'augmenter l'offre tandis que la demande augmente, et donc de pouvoir assurer une très bonne disponibilité des ressources. Cela a aussi pour effet de répartir la charge sur l'ensemble du réseau, et d'éviter que le serveur ne soit un goulot d'étranglement. Ce principe d'échange est tellement efficace qu'il est désormais intégré de base dans plusieurs jeux pour réaliser les mises-à-jour, comme sur World of Warcraft (Blizzard) par exemple.

En condamnant la technologie P2P, on force plusieurs milliers (millions ?) de clients à revenir à l'ancien modèle, et à saturer de nouveaux les fournisseurs de ressources. Et forcément, la demande explose et le ou les serveurs ne suivent plus trop. Quand on pense qu'avec le P2P tout allait mieux ...

Un réseau dans le réseau dans le réseau dans le ...

Tout cela pour en arriver à ce dernier paragraphe, qui cette fois traite de bon sens. En criminalisant les personnes qui téléchargent des contenus soumis au droit d'auteur via des réseaux P2P ou même DDL, on les pousse à consommer du VPN à 5€/mois (un marché prometteur d'ailleurs), à utiliser bon nombre de moyens de chiffrement et d'anonymat, et à être paranoïaques. Non seulement les VPN*s et les moyens de chiffrement réduisent les performances, mais en plus ils créent un réseau dans le réseau. Cette tendance est d'ailleurs d'actualité, avec notamment `l'apparition et l'évolution des PirateBoxes <http://wiki.daviddarts.com/PirateBox_DIY>`_, ou encore l`es réseaux communautaires *Mesh <http://www.harakiwi.net/actualites/reseau-mesh-wifi-larme-absolue-anti-hadopi-2767.html>`_ voire même un réseau satellitaire communautaire et libre !

Il est très dommage de devoir réinventer la roue, et de se réapproprier des technologies et des moyens permettant d'échapper au contrôle et à la censure, encore plus de devoir créer un nouveau réseau libre au sein d'un réseau existant, comme le font ToR ou encore Freenet. N'était-ce pas la volonté même des créateurs de ce super-réseau qu'est Internet ? N'est-ce pas là un vecteur de Liberté, offert à tout un chacun ayant accès à l'Internet ? Oh wait ... il faut payer. Pourquoi perdre son temps à tenter de limiter, contrôler, un réseau en évolution et devenu essentiel à bon nombre de gens et de sociétés aujourd'hui ? Que seraient Facebook, Google, Microsoft sans Internet ?

Les initiatives de réseau communautaires sont louables, en ce sens qu'elles permettent un accès à un réseau gratuit avec des moyens modestes, bien que pour certaines un peu utopiques à mon goût. Mais le coup de la PirateBox, sorte de TAZ où l'on peut partager et échanger librement, j'avoue que je suis fan :).



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