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La crise de la quarantaine ?

Publié le 07 octobre 2024

Après quasimment un an à tourner autour du pot, c'est le moment de se lancer. Ce billet de blog est clairement un de ceux difficiles à rédiger, mais pas pour la raison que l'on pourrait penser. Il y a des billets pour lesquels on ne sait pas exactement ce que l'on va écrire, ou que l'on réécrit sans fin car les tournures ou la structure même ne vont pas, ou l'on n'aime pas telle ou telle façon que l'on a choisi d'aborder les choses. Ici, ce n'est pas tout à fait le cas (même si c'est présentement la cinquième version de ce billet, qui m'a pris un mois à rédiger). Je sais pertinemment de quoi parler et comment l'aborder, mais la question qui se pose est la suivante: est-il nécessaire d'en parler ? Est-ce que ce ne serait pas une grossière erreur de le faire, que je pourrai regretter par la suite ? Cependant, si vous lisez ce billet c'est bien que la question ne se pose plus désormais.

Ça doit être un des billets les plus personnels que j'ai pu écrire, après plusieurs relectures et retouches successives. Je ne suis pas du genre à étaler ma vie privée, mais je crois que j'ai besoin de partager un bout de ce qu'a été mon année 2024 et les quelques années précédentes. Ça va faire plus d'un an que je garde ça pour moi, que je traverse tout un ensemble de phases plus ou moins difficiles, et ce n'est pas évident. Ce n'est pas évident d'en parler, ce n'est pas évident de se confier, ce n'est pas évident de comprendre non plus. Mais ça fait du bien de l'écrire, ça permet de faire le point et de tenter de mettre les choses au clair. Et expliquer aussi, même si je sais que ce dont je vais parler ne va pas être simple, que le risque d'incompréhension est présent, que ça pourrait même me valoir des reproches ou des critiques sur le plan professionnel.

J'ai bientôt 40 ans et je viens de découvrir que j'ai probablement un trouble déficitaire de l'attention avec/ou sans hyperactivité (ou TDAH).

Le TDAH c'est à la mode, il paraît.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, il m'est important de préciser quelques points. Tout d'abord, je ne rédige pas ce billet pour me faire plaindre ou attirer de la sympathie. Ce n'est pas non plus un billet pour flatter mon égo (pour peu que ce soit flatteur) ou me mettre en avant d'une manière ou d'une autre. Oui, je sais aussi que les diagnostics de TDAH sont à la mode, mais je vous invite à lire l'intégralité du billet pour affiner votre opinion.

Pour les personnes qui me connaissent (proches, collègues, managers), ne soyez pas étonnés du fait que je n'ai jamais abordé tout cela avec vous. C'est relativement récent, il paraît que je m'en sors pas trop mal et que mes difficultés ne transparaissent que peu. Il ne s'agit pas d'avouer une faiblesse, mais plus d'expliquer un mode de fonctionnement, que je n'ai compris que très récemment.

Ces précisions faites, remontons quelques années en arrière, en 2020.

Sortie de confinement, le début des problèmes

Le confinement lors de l'épidémie de SARS-CoV-2, ou COVID-19, a été quelque chose d'assez particulier en ce qui me concerne. Beaucoup de personnes l'ont vécu comme quelque chose de difficile: rester enfermé chez soi, ne pas pouvoir sortir retrouver ses amis, se faire un bon restaurant ou juste boire des coups dans un bar était moralement éprouvant. De mon côté, ce n'était pas exactement la même musique. Je peux dire que j'ai vraiment adoré le confinement. Certes, ce n'était pas facile avec deux enfants en primaire, mais cela mis à part c'était un bonheur de ne pas avoir à tout le temps bouger. J'ai trouvé le temps de bosser sur des projets nouveaux, d'apprendre tout un tas de trucs, de faire des Lego pendant des heures... Les journées se ressemblaient et se répétaient, mais cela n'était franchement pas un problème, au grand désespoir de ma moitié.

Et puis vint le déconfinement, et le dur retour à la réalité. Pendant plusieurs mois, on avait tout fait quasimment à distance, soit par téléphone soit en visio, et il fallait désormais remettre un pied dans le vrai monde, et recommencer à interagir avec de vrais gens. Il fallait appeler à nouveau le coiffeur pour prendre rendez-vous, affronter les foules du métro parisien pour aller bosser, faire des réunions en présentiel après des mois de visio-conférences. C'est à ce moment que c'est devenu difficile. D'une part parce que je voyais bien que j'étais seul dans mon coin à avoir adoré le confinement, mais aussi parce que certaines tâches étaient plus difficiles à faire qu'auparavant. Prendre des rendez-vous, envoyer des e-mails, appeler des gens. J'arrivais à les faire, mais très souvent à la dernière minute, une fois que je n'avais plus vraiment le choix. Et d'autres fois je les finissais en retard.

Fin 2020, je prends la décision de quitter mon emploi actuel et d'accepter un poste dans une autre société qui me permet de bosser à distance, d'une part à cause d'une solution de garde d'enfants qui nous a laissé tomber (mais ce n'était pas vraiment leur faute, dur de proposer une garde d'enfants quand tu n'as plus d'employés) et d'autre part car je me sentais très à l'aise de retrouver un mode de fonctionnement assez proche de celui que j'avais durant le confinement (et cela faisait aussi quelques années que je pratiquais le télétravail, à environ 50% de mon temps). Je commence à ce nouveau poste début 2021, en retrouvant tout le stress d'une embauche et les premiers jours et semaines de découverte de l'entreprise, de sa culture et de ses habitudes.

Ce truc qui me trotte en tête

J'observe assez rapidement un décalage entre la façon dont je perçois mon travail et la manière dont ce dernier est apprécié. J'ai le sentiment d'être brouillon, complètement désorganisé, de ne pas arriver à gérer mon temps et mes priorités, de galérer comme pas permis sur les missions qui me sont confiées, et j'en fais part lors de mes évaluations. Et en face, c'est juste l'incompréhension. Non, tout le monde est très satisfait de ce que je fais, ils ne comprennent pas pourquoi j'insiste sur mes soucis d'organisation car a priori je rends mes rapports en temps et en heure et je peux gérer plusieurs missions en parallèle. D'accord, donc c'est moi qui m'en fais tout un fromage ? Suis-je juste un peu trop perfectionniste, au point de m'en vouloir de la moindre petite erreur que je fais ?

A cela s'ajoute le stress des réunions d'équipe, qui ont lieu chaque semaine en présence de tous les collègues. Dès que c'est mon tour de parler, c'est la cata. Je bafouille, j'ai l'impression d'être au niveau zéro de la langue anglaise, de ne pas être clair dans ce que je raconte, de pas avoir ma place dans l'équipe. C'est peut-être parce que je viens juste d'arriver, enfin je suppose. Le syndrome de l'imposteur, mais en vraiment tenace.

Plusieurs mois ce sont écoulés, j'ai pris mes marques dans mon nouveau poste mais il y a toujours ce truc qui me trotte en tête... Je me sens comme en décalage, sauf que là c'est beaucoup plus flagrant que dans mes boulots précédents. Je finis par penser à certains moments que si ça se trouve j'ai un problème, que tout le monde fait comme si tout était normal mais qu'au fond ils ont remarqué qu'il y avait un petit truc qui clochait, mais que par politesse personne n'en parle. J'arrive malgré tout à travailler convenablement, cela me pourrit juste la vie au quotidien, mais je m'en sors.

Je ne suis peut-être pas comme les autres

On est désormais en 2022, et je laisse mes parents à Brest avec ma grand-mère mourrante pour rejoindre mes collègues à La Haye afin de participer au Hardware CTF de Hardwear.io. Vers 15 heures, alors que j'étais bloqué à la Gare du Nord pour cause d'alerte à la bombe, je reçois un appel de ma mère qui m'annonce le décès de ma grand-mère. Je m'attendais à cette nouvelle, mais je pensais que j'allais au moins être triste. En réalité, non. J'étais plutôt soulagé, et j'ai repris mon chemin vers les Pays-Bas. J'ai par la suite changé mes billets de retour pour pouvoir assister aux funérailles organisées quelques jours plus tard.

Dans l'année qui a suivi, la grand-mère de ma femme ainsi que mon beau-père sont décédés à quelques mois d'intervalle. J'ai eu l'impression d'être complètement détaché de tout ça, inhumain d'une certaine façon, je n'ai pas versé une larme et ma fille m'a même demandé si ça m'arrivait d'être triste et de pleurer. Ça fait un peu réfléchir, sur le coup. Ma chérie me dit juste que je gère le deuil différemment, oui ça doit être ça alors. À y réfléchir, ce n'est pas la première fois que ça se passe comme cela. Pour le décès de CrashFr, c'était exactement la même chose.

Ça doit donc être ça, je ne dois pas fonctionner comme les autres. Il y a désormais cette petite musique qui trotte, cette rengaine un peu plus insistante qu'auparavant qui me répète que je suis peut-être juste un sociopathe qui s'ignore. Et ça fait très bizarre.

Enfin une piste, et le début des gros ennuis

Mars 2023, je tombe sur un tweet d'une connaissance parlant d'un test en ligne dénommé Ritvo Autism Asperger Diagnostic Scale–Revised, ou RAADS-R. Je ne sais sincèrement plus pourquoi je me suis dit que le faire serait intéressant, toujours est-il que je me suis pris au jeu et j'ai répondu honnêtement aux différentes questions. Le résultat m'a surpris, je ne pensais pas avoir un score aussi élevé. Le test disait en substance qu'il serait intéressant de consulter, car je pouvais être concerné. On parle ici d'un test de screening en ligne visant à déterminer un possible autisme, loin d'un quelconque diagnostic.

Mon premier réflexe a été de contacter cette connaissance, en lui demandant ce qu'elle pensait d'un tel score. Sa réponse a été encore plus perturbante: "ah bah je ne suis pas étonné, quand je t'ai vu avec tes enfants ça transpirait la famille neuro-A !". Heuuu, comment ça ? Et c'est quoi une "famille neuro-A" ? J'ai ainsi découvert un nouvel univers, celui des neuroatypies, avec son vocabulaire et tout un lot de sources d'information que j'allais explorer par la suite. Cette même connaissance m'a proposé de discuter du sujet, et on a bien du passer plus de 4 heures d'affilée à échanger... Il y avait en effet des éléments qui allaient en ce sens, mais je voyais aussi beaucoup de choses que rien n'expliquait. Moi, autiste ? Sérieusement ? Je sais qu'on rigolait pas mal de ça avec les collègues, on disait assez souvent qu'on passait en mode autiste quand on se mettait à focus à fond sur un sujet ou une tâche, mais de là à penser que ça pouvait être vraiment le cas...

J'ai fait ce que toute personne sérieuse aurait fait dans ce cas de figure. Après m'être relativement bien documenté j'en ai parlé avec ma moitié, lui exposant certains de mes traits qui me faisaient penser à cela mais aussi ceux pour lesquels ça ne "collait pas". Je lui ai dit que ça m'intéressait d'avoir des réponses à toutes ces questions, vu que ça me pourrissait la vie depuis plusieurs années. Ce fut aussi l'occasion de mettre à plat ce qu'il s'était passé les années précédentes, d'évoquer des choses dont on n'avait pu parler, de tout mettre sur table après tout ce temps à me poser des questions. Mais ce ne fut pas sans conséquences. J'avais comme ouvert la boîte de Pandore, et l'année qui suivit fut assez rude pour notre relation.

Le fait d'avoir une piste, correcte ou non, était aussi pour moi très positif. Je me suis mis à me documenter à fond sur le sujet, à engranger de l'information, à y passer des nuits. À regarder des vidéos de témoignages sur Youtube, en français et en anglais, à découvrir des caractéristiques propres aux neuroatypies, les comorbidités associées, les symptômes et les différentes manières dont ils s'expriment. Je passais mon temps à comparer mes expériences, mon vécu, aux différents témoignages et explications trouvés en ligne. Ça a duré quelques mois, tout de même. Et ça m'arrive encore de me documenter à ce sujet, par ailleurs.

En parallèle, nous avions convenu avec ma moitié que je devrais prendre rendez-vous avec un spécialiste histoire de faire le tri et de voir s'il y a moyen d'améliorer la situation. Passage obligé par le médecin traitant dans un premier temps, qui m'a gratifié d'un "Vous, autiste ? Non, pas le moins du monde !", mais qui m'a redirigé vers une neuropsychologue pour la réalisation d'un bilan.

Les choses ne s'arrangent pas

Depuis que cette hypothèse me trottait en tête, je cherchais à creuser dans le passé tout en essayant d'être objectif et d'éviter le biais de confirmation. Ce n'est pas simple, car il est assez difficile de se souvenir de comment l'on était dans l'enfance, et il est relativement aisé d'avoir de faux souvenirs.

La première chose qui m'est venu à l'esprit fut de contacter mon ami de fac avec qui nous avons vécu en colocation pendant une année scolaire. Je me disais que s'il y a bien une personne qui pourrait avoir un avis neutre, c'était bien lui ! On s'est perdu de vue il y a vingt ans, mais j'ai toujours son adresse e-mail. Je lui envoie un mail, une bouteille à la mer, lui exposant ma situation et lui rappelant certaines discussions que l'on avait pu avoir lors de cette année de colocation. J'avais directement évoqué mon axe de recherche et l'hypothèse d'un trouble du spectre de l'autisme (ou TSA) dans mon mail. Par chance, il avait conservé la même boîte mail et je reçus une réponse de sa part.

La réponse en question fut très déroutante. "Si tu veux parler d'autisme, tu as frappé à la bonne porte, il se trouve que je suis autiste et que j'ai un TDAH". Je ne m'attendais pas du tout à ça. Ce fut l'occasion de reprendre contact, même si ça fait très bizarre après tant d'années.

En parallèle, j'ai alors l'impression que les symptômes s'aggravent. Je remarque tous ces moments où je ne comprenais rien, toutes ces situations où je galèrais, en particulier au boulot et dans la famille. Et aussi en stream, car du coup au moindre petit problème, bug ou quoique ce soit, il y a cette petite voix qui me disait "ah tiens, ça serait pas lié à ton truc, là ?". Toutes ces blagues faites par les viewers que je ne captais pas, les moments où je prends des remarques au premier degré alors que ce n'était juste que des blagues de collègues, les épisodes du quotidien où je "bugue" littéralement sans explication valable... Côté vie privée, c'était de plus en plus de remarques sur mon comportement, des incompréhensions et un changement qui était visible. Et moi qui ne comprenais rien.

Mais à côté de ça, je faisais quelques progrès. J'ai découvert les stim toys (mince, comment j'ai fait sans ?), j'ai commencé à rédiger un genre de journal de bord afin de tout noter et de pouvoir ensuite l'analyser et tenter d'y trouver des réponses, j'ai aussi fait un petit tableau des caractéristiques qui penchaient pour le pour et le contre. C'était aussi un très bon moyen pour souffler et faire le point, cela me permettait de me vider la tête en mettant tout ça par écrit, tout en menant ma petite enquête. À cette période, le fait de ne pas savoir combiné à toutes ces choses que je remarquais m'a ruiné le moral. Difficile de dire exactement l'état d'esprit dans lequel j'étais, mais je me rappelle avoir été relativement mal quand j'étais en déplacement aux Etats-Unis au point de consulter pour la première fois une psychologue en ligne.

Le bilan neuropsy

J'ai enfin réussi à avoir un rendez-vous pour un bilan neuropsy début 2024, soit presque un an après mon premier appel, la liste d'attente étant relativement longue. Ce bilan comprenait un test de QI (WAIS IV), et des tests complémentaires en fonction du premier entretien avec la neuropsychologue (recommandée par le médecin traitant).

Je crois que je n'ai jamais été aussi stressé lors d'un entretien. C'était pire que lors des réunions d'équipe, je ne savais pas où me mettre, je ne savais pas quoi dire bien que j'aie répété ce rendez-vous dans ma tête des dizaines de fois durant les deux semaines précédentes. Comme l'impression d'avoir tout oublié ce que je devais absolument dire, les sujets dont il fallait absolument parler. J'ai réussi à exprimer les difficultés que je rencontrais, la situation actuelle relativement tendue avec ma chérie, les différences de perception de mon travail entre moi et l'entreprise pour qui je bosse, etc... Le premier rendez-vous (appelé anamnèse) a duré deux heures, je n'ai quasi pas regardé la neuropsychologue et j'ai répondu tant bien que mal à ses questions. Je lui ai raconté l'histoire en bref, un peu comme je l'ai fait dans ce billet, elle m'a simplement dit: "Personnellement, ça me fait énormément penser à un TDAH. On se retrouve dans deux semaines pour les tests !".

Un TDAH. Non, je n'y avais pas pensé une seule seconde. Je me rappelle avoir passé des tests en ligne concernant le TDAH, mais ça m'avait dit que j'étais normal. J'étais tellement focus sur un possible trouble du spectre de l'autisme que j'avais laissé le TDAH totalement de côté. Et moi qui voulais éviter les biais de confirmation... Je me suis dit que de toute façon on verrait bien en fonction des tests.

Premier test, le WAIS IV. C'est un test psychométrique qui vise à situer l'intelligence d'un individu sur une échelle comparative, qui se compose de différents sous-tests que l'examinateur fait passer. Je ne détaillerai pas le contenu de ces tests ici, car cela pourrait fausser les résultats si vous souhaitez (ou devez) le passer un jour. Je suis toujours aussi stressé durant le test, j'ai peur que ça donne un résultat moyen. Je fais de mon mieux et la neuropsychologue fait une rapide synthèse à la fin des tests. Elle semble étonnée du résultat, elle commence à me parler de haut potentiel intellectuel, me demande si j'étais au courant que j'avais ces capacités. Bien sûr que non, c'est la première fois que je passe un tel test. Et je suis perplexe, car franchement, comment pourrais-je être haut potentiel intellectuel alors que je galère avec des trucs totalement débiles ? Pourquoi je bug dans une conversation si j'ai un QI élevé ? Je sors de ce test avec la sensation que le haut potentiel est une escroquerie sans nom, et que je ne sais pas pourquoi on en a même parlé durant le rendez-vous.

La suite des tests s'est focalisé sur le TDAH, avec le questionnaire DIVA 2. Là pour le coup, ça m'a beaucoup plus parlé ! Il s'agit principalement de questions concernant l'enfance mais aussi la situation actuelle, les difficultés auxquelles on fait face et la répercussion (on parle de "retentissement") sur le quotidien. Je crois que quand je lui ai montré une photo du rangement de mon bureau, cela a fini de la convaincre. Je pense que si un de mes anciens collègues de Sysdream ou Digital Security lit ce billet, il ou elle doit bien rigoler en repensant à quoi ressemblait mon bureau ! Elle m'a aussi fait passer des tests concernant l'autisme, à ma demande (la piste m'intéressait toujours), mais cela n'a pas été concluant, excluant de fait la piste d'un trouble du spectre autistique.

Une semaine plus tard, c'était la restitution du bilan. J'y suis allé accompagné de ma moitié, et la neuropsychologue lui a exposé mon cas. Elle a aussi insisté sur le fait que d'après elle il n'y avait pas d'évidence d'autisme, mentionnant quelques réponses données au test... que ma femme s'est empressée de nuancer.

Au final, le bilan a révélé un possible trouble déficitaire de l’attention sans hyperactivité (donc de type inattentif), et je suis a priori identifié haut potentiel intellectuel. Wahou, ça me fait une belle jambe.

Okay, mais alors c'est quoi le TDAH ?

Le trouble du déficit (ou déficitaire, j'ai lu les deux) de l'attention avec ou sans hyperactivité est un trouble qui fait partie des troubles neuro-développementaux (TND), un ensemble de dysfonctionnements neurologiques causés par un développement différent du cerveau. Autrement dit, le cerveau s'est développé d'une telle façon que cela impacte des fonctions cognitives, avec des conséquences qui peuvent varier au cours de son évolution. Ça ne s'attrappe pas, on naît avec en quelque sorte. Les causes ne sont pas certaines mais les chercheurs soupçonnent que la génétique y jouerait un rôle prépondérant.

Le TDAH est caractérisé par un déficit ou un excès d'attention (car oui, les deux sont possibles), le cerveau TDAH étant à la recherche de neurotransmetteurs (tels que la dopamine, la noradrénaline et la sérotonine) ainsi qu'une hyperactivité qui peut être physique (le cliché de l'enfant qui ne tient pas en place) ou mentale (le cerveau ne s'arrête jamais, il n'a pas de repos). Une personne TDAH est une combinaison de déficit/excès d'attention et d'hyperactivité, qui varie en fonction des individus. L'une peut être principalement inattentive (sans hyperactivité visible) tandis qu'une autre principalement hyperactive.

En ce qui me concerne, je serais majoritairement inattentif, et j'aurais aussi de l'hyperactivité mentale et physique bien qu'elle soit moins marquée. Alors, comment cela se traduit-il au quotidien ? C'est là que le bilan avec la neuropsy a été très intéressant, car il m'a permis de comprendre que certains de mes problèmes pourraient être liés à ce trouble. En effet, le TDAH affecte la régulation des émotions, mais aussi les fonctions exécutives ou encore la perception du temps, et cela a des conséquences bien visibles dans la vie de tous les jours.

Personnellement, je lutte principalement contre quatre gros problèmes:

  • j'oublie très régulièrement des consignes ou des choses à faire (mais littéralement 30 secondes après y avoir pensé ou que l'on me l'ait dit) ;
  • je procrastine énormément pour les tâches n'ayant aucun intérêt, au point que ça me cause des soucis assez importants (genre santé & co) ;
  • ma concentration et/ou mon attention sont très variables, ce qui rend la vie compliquée quand il s'agit de bosser ;
  • mon estime de moi est un roller coaster, et mes humeurs peuvent varier du tout au tout très rapidement.

Pour illustrer ces quelques points, je vais tenter de décrire comment ça semble fonctionner chez moi et comment je le vis. Si vous n'êtes pas familier de ces troubles, vous pourriez être tenté de penser qu'il s'agit d'un manque d'effort de ma part ou juste que je suis un fainéant en puissance, et je vous assure que c'est ce dont j'étais persuadé jusqu'à très récemment.

Prenons l'exemple des consignes que je zappe très régulièrement, avec un cas très concret: la gestion de la lessive à la maison. Nous sommes à table en famille, on discute des tâches ménagères et ma femme me fait remarquer que la lessive s'entasse et qu'il faudrait aller s'en occuper (oui, je suis le préposé aux lessives). J'approuve et garde ça dans un coin de ma tête, du moins j'essaie. Une fois sorti de table, je fais tout sauf aller m'occuper de la lessive, tout simplement parce que je n'y pense absolument plus. Ma femme me reparle de la lessive, et là bing je percute et en effet, j'avais dit que j'allais m'en occuper. À partir de là, il y a plusieurs scénarios possible, mais le plus courant c'est que je suis attrapé par autre chose et bien sûr je zappe totalement de m'en occuper. Elle ne manque pas de m'en reparler en début de soirée, je lui réponds qu'elle ne doit pas s'inquiéter, qu'une fois sorti du salon je m'en occuperai. Devinez quoi ? Une fois sorti du salon je file dans mon bureau et la lessive attend toujours. Après 3 jours comme ça, le linge est vraiment en retard et je dois me le répéter en boucle (ou me mettre des alertes sur smartphone) pour ne pas oublier de m'en occuper. C'est comme ça toutes les semaines, mais ça peut varier: certaines semaines je pense tout seul à gérer les lessives de temps en temps et j'arrive à le faire, d'autres ça va être catastrophique. Le pire dans l'histoire, c'est qu'à certains moments de la journée je me rends compte qu'il faut que je m'en occupe, mais je remets à plus tard et ça part dans les limbes. Ça se manifeste aussi assez régulièrement sous diverses formes: je laisse le coffre de la voiture grand ouvert durant la nuit car j'ai zappé de le fermer, les yaourts et autres produits frais dans l'entrée car je me suis interrompu dans le rangement des courses, etc... Cela peut être expliqué par un déficit d'attention, le fait de penser à autre chose à un moment et de basculer toute son attention sur cette nouvelle chose, dégageant ce qu'on essayait de garder en tête.

Le fait de remettre des tâches au lendemain est le propre de la procrastination. Et je suis très fort en procrastination, par ailleurs. J'ai de la chance, cela ne m'impacte pas énormément dans mon travail car je bosse dans un domaine qui me passionne, et généralement les tâches à réaliser sont plus qu'intéressantes ! Pour le reste par contre, c'est une autre histoire. Prendre rendez-vous chez le coiffeur peut littéralement me demander plusieurs semaines: je sais que je dois prendre rendez-vous, je sais que plus j'attends et plus c'est urgent, mais je n'arrive tout simplement pas à le faire. Quand je pense au fait que je dois prendre un rendez-vous, j'angoisse en partie par le fait de devoir passer un appel et le fait de ne pas pouvoir dans l'immédiat appeler (ou prendre un rendez-vous en ligne). Dans certains cas, j'arrive à me mettre un (ou deux) rappels sur le smartphone, remettant la tâche au lendemain tout en sachant que les rappels marchent de temps en temps. La plupart du temps, c'est juste remis à plus tard, si je n'oublie pas. Fun fact: en août dernier, j'ai réussi à appeler le salon de coiffure un jour avant qu'il ne ferme pendant 3 semaines pour congés d'été. Rendez-vous fut pris pour la rentrée (mais j'avais réussi à appeler !). Comprenez bien: je sais que je dois prendre rendez-vous, je sais que je peux le faire (je connais la procédure à suivre, le discours à tenir et les informations à fournir), je sais que ce n'est pas sorcier à faire et que ça semble complètement débile de bloquer dessus, mais ça juste bloque. Et je ne parle pas des rendez-vous médicaux, qui eux n'ont pas de caractère urgent (les cheveux longs au bout d'un moment je ne les supporte plus). Ce qui fait qu'il me faut non pas quelques semaines mais quelques années pour me décider à prendre rendez-vous pour un souci médical. Appeler un dentiste ou un médecin généraliste ne sera possible que s'il y a une urgence vitale. Dans les autres cas, ça sera une galère monumentale. Cela pourrait être expliqué par un trouble des fonctions exécutives, encore une fois assez caractéristique du TDAH.

Côté attention/motivation au travail, c'est assez variable. J'ai l'habitude de dire à mon manager que je suis efficace 50% du temps, et que les 50% restant je suis juste bon à rien. Ce qui l'étonne toujours car j'arrive à presque tout le temps boucler mes missions, livrables ou autre travail en temps et en heure, ce que la neuropsy justifie par mes capacités à focus (voire hyperfocus) sur une tâche précise, mais seulement par moment. Ce qui expliquerait que je sois capable de boucler mon travail dans les délais, je suis donc une personne chanceuse. En pratique, je m'en veux assez souvent de ne pas arriver à me lancer sur une tâche que je dois faire, en particulier durant ces journées où je me retrouve à perdre du temps sur tout autre chose. Oui, l'hyperfocus peut aussi vous pourrir la vie: récemment il a fallu que je regarde toutes les vidéos de réaction aux nouvelles chansons de Linkin Park ainsi que les vidéos en question plusieurs fois bien sûr, ce qui m'a pris entre 3 et 4 heures, sans raison apparente si ce n'est qu'ils ont une nouvelle lead singer (Emily Armstrong). Des fois, c'est une journée de perdue à errer sur l'ordinateur sans arriver à faire quoique ce soit. Et ça donne un sentiment très désagréable d'imposteur, d'escroc, et ça impacte forcément l'estime de soi.

Pour terminer sur les exemples, tant qu'on en est à parler estime de soi, causons un peu du roller-coaster de l'humeur. Je bosse dans la cybersécurité et une partie de mon boulot consiste à chercher des vulnérabilités dans des produits, et de les exploiter. C'est quelque chose que j'apprécie particulièrement, et je prends ça la plupart du temps comme un challenge. Lorsque je suis sur un audit, je peux passer d'un état euphorique car j'ai trouvé une vuln au quinzième sous-sol quand je n'arrive à rien, ou que je me suis trompé. Je vais être super content le lundi, et à moitié dépressif le mardi. Et à nouveau super content le jeudi car j'aurais débloqué une situation. Un roller-coaster d'émotions, qui déteint généralement sur la vie de famille. Mais bon, j'arrive habituellement à passer outre, à relativiser au bout d'un moment et atténuer les effets. Une possible mauvaise gestion des émotions causée par le TDAH, d'après la spécialiste.

Un nouveau regard sur le passé

Quand on commence à soupçonner un possible trouble neurologique et qu'on se rend compte que c'est peut-être ça qui nous cause tout un lot de soucis, on se prend rapidement à interpréter le passé au regard de ce trouble. Tous ces trucs qui, lorsque j'étais plus jeune me semblaient bizarres mais pour lesquels je n'avais pas d'explications, étaient peut-être simplement causés par ce trouble ? Toutes les galères dans le monde professionnel, les erreurs et les incompréhensions, auraient-elles une explication logique ? On analyse alors son passé au prisme de ces hypothèses, et on tente de faire des liens (à tort, des fois).

Le plus simple a été de reprendre à partir du collège/lycée, car c'était relativement frais dans ma mémoire. Les oublis de matériel de cours, de leçons, les signatures des parents imitées sur les devoirs en tout début de cours car j'avais simplement zappé de le leur faire signer à la maison (un graffiti et hop, problème réglé); la fois où la prof d'anglais en a eu marre de mon énième oubli et m'a sorti un "silly you !" que je n'ai pas compris et que ma voisine m'a expliqué, ou encore les moments où j'agaçais les voisins en tapant de façon rythmée sur le pied de la table avec ma chaussure... chose que je fais encore maintenant lorsque je bosse dans mon bureau à la maison. Et je passe les fois où je me suis fait attraper en cours à dessiner sur une feuille alors qu'on travaillait sur tout autre chose, et ce particulièrement en français et en philosophie, deux matières qui ne m'intéressaient pas du tout. Ou alors je bossais sur des programmes et algorithmes sur lesquels je me prenais la tête. Et puis je parle vite, très vite même des fois. Depuis tout petit. Au point que certaines fois, il y a tellement de trucs que je veux dire que ça cafouille.

Côté professionnel, ça a été encore plus flagrant, surtout au regard de mes derniers postes. J'ai déjà mentionné dans ce billet l'état catastrophique de mon bureau, au point que l'on m'a demandé plusieurs fois de vraiment le ranger car des clients ou des grands chefs allaient passer dans les locaux et que mon bureau faisait vraiment tâche (et c'est rien de le dire). J'avais la place pour poser mon laptop et une souris, et le reste n'était qu'empilement de papier ou de matériel, mais malgré tout je m'y retrouvais dans tout ce bazar ... ou pas. Certains trucs finissaient par être enfouis et je ne remettais la main dessus que lors des très rares sessions de rangement. Tous ces jours où je n'arrivais pas à avancer mon travail, où je me perdais dans des projets qui n'ont rien à voir ou pire, sur des vidéos Youtube. Ces moments où j'avais trop de choses à faire que je ne savais pas par quoi commencer, et qui me bloquaient purement et simplement. Les jours où j'avais des réunions ou rendez-vous importants et pendant lesquels je n'étais pas fichu de me lancer dans une tâche gourmande en temps ou en attention (ça peut me ruiner une demie-journée sans problème). Ces réunions où je lâchais le fil car ça n'avançait pas assez vite, ou alors où il était plus facile de parler par écrit que d'activer le micro et de prononcer des mots.

Alors quoi, je ne serais pas juste un gros étourdi gaffeur et paresseux ? Tout ça pourrait s'expliquer au travers d'un trouble ? Ça fait quand même une sensation bizarre: je me sens soulagé et coupable en même temps. Je suis soulagé car j'ai passé tout ce temps à me demander comment faisaient les autres, comment ils arrivaient à assurer là où pour moi ça semblait compliqué. Et que de me dire que je n'en faisais pas exprès, que c'est juste là et que je n'y pouvais rien, ça fait du bien. Mais coupable aussi en même temps car cela peut sembler désormais facile, comme une excuse, de dire que tel oubli ou telle difficulté est juste "normale" car causé(e) par le trouble en question. En réalité, il m'est toujours difficile de juger à quel point une tâche spécifique m'est plus difficile à réaliser que pour une personne neurotypique.

Et puis il y a ces particularités que j'ai qui ne rentrent pas forcément dans le moule du TDAH. Depuis tout jeune, je suis réchauffé comme disent mes parents. Je ne porte que des t-shirts toute l'année, les pulls et les sweat-shirts me donnent bien trop chaud. Mon thermostat est déréglé, d'après ce que j'ai compris. Je ne porte d'ailleurs que certains jeans et t-shirts, et ce depuis au moins le collège. Je suis le désespoir de ma femme qui m'offre des t-shirts geeks en pensant me faire plaisir, mais que je ne mets pas car la sensation de ces derniers m'est vraiment désagréable. Et qui du coup sont redistribués dans la famille. Et je ne parle même pas des soucis de couverts: toutes ces fourchettes aux dents tordues que je dois redresser pour ne pas que ça m'agresse la bouche, ou ces petites cuillères que je sélectionne méticuleusement en fonction de leur forme, de leur manche, car cela peut vraiment m'agacer d'avoir une cuillère trop incurvée ou aux bords irréguliers. Ce dont ma famille a découvert l'existence et se moque allégrement depuis pas très longtemps, par ailleurs.

Tout cela serait donc potentiellement causé par un trouble neuro, et je ne suis pas bizarre mais juste différent ? On m'a beaucoup parlé de spectre et de similitudes entre plusieurs troubles, et en effet c'est ce que je commence à comprendre. C'est comme un puzzle dont les pièces commenceraient à s'emboîter, et où l'on distinguerait une forme générale. Et ça fait très bizarre.

L'après bilan

Il m'a fallu plusieurs mois pour accepter le fait que j'ai un probable TDAH, et que la grande majorité des problèmes que je rencontrais pouvait être causé par un trouble neuro-développemental. Je dis bien probable car il n'y a eu aucune validation par un psychiatre de ce diagnostic.

Quand j'ai échangé sur le sujet avec des personnes concernées, on m'a bien fait comprendre que tant qu'un psychiatre n'a pas validé le diagnostic, il n'y a juste pas de diagnostic et donc aucune certitude que ce soit bien cela. C'est assez frustrant car la neuropsychologue, pour lui avoir parlé de mes doutes suite à mon bilan, est quant à elle convaincue de la présence de ce trouble chez moi, tandis que je doute encore et toujours. Non pas que je pense qu'il s'agisse d'autre chose, non, juste qu'il y a encore quelques éléments qui ne rentrent pas dans le tableau du TDAH (bien que certains oui, sans trop de doute). Après, je ne suis pas expert ni neuropsychologue, donc mon avis ne vaut pas grand chose.

Avec du recul, je me pose de réelles questions quant à la nécessité d'un diagnostic. J'avais entamé cette démarche pour savoir, pour avoir des réponses concernant mes difficultés et ma gestion particulière des émotions, et non pas un "peut-être" qui laisse encore place au doute. Mais quand je vois la difficulté que c'est de trouver des professionnels qui connaissent ces sujets, les temps d'attente (on parle de plusieurs années !) aux Centres Ressources Autisme (CRA) dans le cadre du Trouble du Spectre Autistique (TSA) par exemple, ou encore les spécialistes qui n'acceptent pas de nouveaux patients, je me dis qu'au vu de ma situation cela ne vaut peut-être pas la peine d'aller allonger les listes d'attente juste parce que j'ai besoin de savoir. D'autres personnes souffrent bien plus de ces troubles et ont réellement besoin d'aide pour pouvoir juste vivre, alors qu'en ce qui me concerne je ne m'en sors pas trop mal.

À tous ceux qui sont dans une démarche diagnostique, que ce soit pour un TDAH, un TSA ou autre qui vous pourrit la vie, vous avez vraiment un courage de fou 😖.

Petite liste de ressources pour approfondir si le sujet vous intéresse:



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